Philip Morris est-il nocif à la liberté d'expression?
La réponse de PMI dans le Courrier |
Astuce pour chargé de comm' de
multinationale: menacer de procès interminables et ruineux en frais
d'avocats. Coup imparable face aux derniers médias indépendants,
généralement en difficulté financière. C'est ainsi que Philip
Morris International (PMI) a eu un «droit de réponse»
ce matin dans le Courrier à mon article sur l'iQos publié dans le
même journal le 8 septembre et sur ce blog auparavant.
Même si c'est la meute d'avocats de
PMI qui a «négocié» la publication, c'est Moira
Gilchrist, directrice scientifique chez PMI, qui signe la réaction.
Je suis un peu déçu, j'espérais Manuel Peitsch, ancien chercheur des
laboratoires pharmaceutiques GlaxoSmith Kline devenu vice-président
de la recherche biologique chez PMI. Une
carrière
illustrant la jolie
parabole sur les liens entre Big Pharma et Big Tobacco, ces deux
secteurs
si complémentaires économiquement.
Moira
Gilchrist prétend que
«l'article
affirme en particulier que l'iQOS dégagerait des taux d'ammoniac,
d'acétaldéhyde, de formaldéhyde et de benzopyrène supérieurs à
ceux d'une cigarette type 3R4F». Je
n'ai pas affirmé que
ces taux sont «supérieurs» à ceux de la cigarette
témoin,
il
suffit de relire mon article, qu'elle ne cite évidemment pas à ce propos.
J'ai donné les pourcentages de dégagements de ces toxiques selon
les études de PMI, qui pour
rappel n'ont
pas été corroborés
par des études indépendantes. C'est anecdotique, mais je n'ai pas non plus affirmé que ce document est
«interne» à PMI. L'illettrisme est un grave problème social.
Ce
que je dis, et que je réaffirme, c'est que les taux dégagés pour
ces toxiques mentionnés sont nettement supérieurs à 10% de ceux
de la
cigarette témoin «3R4F».
A partir de là, l'affirmation de PMI, reprise sans distance critique
par les médias, selon laquelle l'iQOS est une cigarette à «90%
moins nocive» me parait pouvoir être mise en doute. Le
titre de mon article « L'iQos
plus nocive que prétendu ?»
est
assez clair.
Moira
Gilchrist affirme que
«toutes
les substances chimiques nocives ou potentiellement nocives
étroitement associées aux maladies liées à la consommation de
tabac et identifiées par des autorités de santé comme Health
Canada, l'OMS ou l'Autorité de santé américaine sont en moyenne
réduites de plus de 90%; dans certains cas la réduction est de plus
de 95%». Mais dans certains cas, au
moins ceux listés, ces taux sont bien moins réduits. Mes
propos ne sont pas contredits
par cette affirmation, sans
étude scientifique indépendante fiable pour la soutenir par ailleurs.
On précisera, même si la tournure est habile, que la mention
de Health Canada, l'OMS et l'Autorité de santé américaine ne doit
pas faire croire que ces organismes sont associés aux recherches de
PMI.
"Menacer la presse était le seul moyen de les faire bouger", Philip Morris 1980 |
Je
remarque que la directrice scientifique précise que la
cigarette 3R4F est une «formule standard qui est définie,
entre autres, par l'Institut de recherche sur le tabac de
l'Université du Kentucky». C'est gentil, je le savais. Mais
cela ne nous précise
pas les taux en absolu de toxiques dégagés par cette cigarette
standard utilisée par la recherche cigarettière, comme
remarqué
dans mon article. Elle affirme également que l'aérosol dégagé par
l'iQos serait de «90 à 95 % moins toxique»
que la fumée de cette cigarette. Merci, c'est de bonne guerre. Mais,
nous avions déjà lu les simili "publi-reportages" du Matin et autres médias
l'affirmant sans qu'aucune évaluation indépendante scientifique ne
soit là pour confirmer.
Dernier
point, mais
pas le moindre,
autour
de l'ammoniac de l'iQos. Contrairement
à ce que prétend la directrice scientifique de Philip Morris,
je
n'ai pas affirmé qu'il y a ajout d'ammoniac dans ce
produit (les cigarettes de l'iQos).
J'ai rappelé que l'ajout d'ammoniac a été la clef du succès des
Marlboro dans les années 1960 en rendant la nicotine «libre» et beaucoup
plus addictive. Par
ailleurs, je relève la présence importante d'ammoniac dans la
fumée dégagée par l'iQos selon les études de PMI même. Ce que finalement, la directrice scientifique confirme.
Moira
Gilchrist affirme aussi
que
«Philip Morris International n'ajoute
pas d'ammoniac dans les Heatsticks utilisés avec l'iQOS, ni dans
aucun autre des ses produits du tabac. L'ammoniac
est naturellement présent dans le tabac, mais les taux trouvés dans
l'aérosol des Heatsticks utilisés avec l'iQos sont réduits environ
de moitié en comparaison à ceux trouvés dans
la
fumée d'une cigarette». Pour éclairer le lecteur non initié,
les Heatsticks sont les cigarettes de tabac que l'usager doit mettre dans
l'appareil iQos. La directrice scientifique reconnaît
donc que le taux d'ammoniac dégagé par la fumée de l'iQos est
nettement supérieur à 10% de celle d'une cigarette (51 %
d'après l'étude de sa
firme).
Je maintiens que l'ammoniac alcalinise la nicotine pour la
rendre free-base, et accroît ainsi énormément son addictivité par
rapport à la nicotine elle-même
(comme celle par exemple des e-liquides à vaper fait avec de la nicotine de
qualité pharmaceutique et
donc purifiée).
Mais
que
faut-il entendre par PMI n'ajoute pas d'ammoniac? On sait par
la publication, ordonnée
par des tribunaux étatsuniens,
des archives secrètes des cigarettiers qu'ils utilisent trois types
de manipulation pour accroître l'addictivité de leurs cigarettes –
voir Le rideau de fumée de G. Dubois. Une première d'ordre
mécanique,
en jouant sur le filtre par ex. Une seconde de type chimique par
l'ajout d'additifs. Et enfin une troisième génétique en manipulant
les plants de tabac eux-mêmes. L'opacité des conditions de
production des firmes cigarettières fait que cette affirmation de
l'absence d'ajout d'ammoniac est invérifiable. Cette industrie n'a
pas hésité à mentir à nombreuses reprises dans son histoire, ce
qui peut légitimement faire douter de ces propos. Mais il est aussi
possible que la directrice scientifique joue simplement sur les
mots: que veut dire «présent naturellement» ?
Naturel comme un plant de maïs Monsanto ?
Il
y a un point sur lequel Moira Gilchrist ne se prononce pas: la
présence faible, mais présence tout de même de dégagement de
monoxyde de carbone par l'iQos (ou pour reprendre sa terminologie,
dans l'aérosol dégagé par l'utilisation de Heatstick avec
l'appareil iQos
(ouf...)). Selon
les témoignages que j'ai recueillis d'utilisateurs, ceux-ci doutent
de l'absence totale de combustion. Lorsqu'ils ouvrent la
cigarette, le "Heatstick",
après l'avoir fumé, ils constatent
que le tabac est d'apparence carbonisé. Il n'est pas réduit en
cendre comme avec les autres cigarettes vendues par Philip Morris,
mais il n'est pas non plus dans son état d'origine. Il est légitime
de se demander qu'est-ce que veut donc dire précisément
«tabac
chauffé». Et
où
se situe l'iQos sur le continuum des risques par rapport à
la
vape?
Dans
cette perspective, ce
qui brille dans cette «réponse», c'est évidemment
l'absence de la question du traitement de faveur dont jouit Philip
Morris de
la part
des
autorités fédérales. Au
moment où l'Aargauer Zeitung vient de révéler un rapport indépendant
d'évaluation
du Bureau sur les politiques du travail et sociales (BASS) sur les
conséquences du projet de Loi sur les produits du tabac (LPTab). Ce
rapport AIR, dont les médias romands ne soufflent mot, a depuis été
publié sur le site de l'Office fédéral de la Santé publique(OFSP). Il qualifie «d'absurde» la situation actuelle
d'interdiction des liquides nicotinés par l'OFSP, alors que la vente
de tabac plus nocif est autorisée.
(Nous
essaierons de revenir sur ce rapport intéressant et important).
En
résumé, Philip Morris m'accuse de
propos que je n'ai pas tenu ; répète
sa publicité sans évaluation scientifique indépendante et fiable
pour
la soutenir ;
reconnaît implicitement la présence importante d'ammoniac dégagée par sa nouvelle cigarette ; et évite soigneusement les questions de fond sur
l'addictivité de son produit et surtout son travail de lobbying
auprès des autorités fédérales.
Bref,
iQos mais Philip Morris ne dit rien de bien intéressant.
Parodie de Leio Vape |
Ajout décembre 2015 : en Italie aussi Philip Morris bénéficie de la bienveillance des autorités contre les vapoteurs http://vapolitique.blogspot.ch/2015/12/unpesopertutti-les-vapoteurs-italiens.html
Il est encore possible de voir la position du directeur du Centre de documentation et d'information du tabac (CDIT) à propos de l'ammoniaque xD. Et on se rend compte que les méthodes semblent être les mêmes.
RépondreSupprimerVoir l'extrait:
"...Sauf que pour le tabac blond, au moment du traitement à l'air chaud, une part d'ammoniaque disparaît. Alors, on a suggéré qu'on surdosait, ensuite, en ammoniaque... Il n'y a eu surdosage que dans le cadre d'expérimentations, dans le cadre de recherches sur les rapports entre l'alcalinité de la fumée et ses propriétés sensorielles. Mais il n'y a pas eu surdosage dans la production.Il n'y a eu apport d'ammoniaque que pour en compenser la perte au moment du séchage. Ainsi, un test récent, sur 10-marques, indique qu'il n'y a pas de surdosage..."
Lien à voir pour lire la réaction en entier de l'époque :
http://www.ladepeche.fr/article/2000/03/15/84600-tabac-le-film-qui-accable.html
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
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