Interview de Philippe Boucher : L'appel à la révolte contre le CNCT d'un vétéran de la lutte antitabac
Q- Salut Philippe. Suite à la campagne du CNCT pour interdire les arômes de vape sauf arôme « tabac », tu as lancé une idée sur ton blog : adhérer au CNCT pour le changer. Peux-tu développer ta proposition ?
Il faut comprendre que le CNCT, s’il remonte à fort loin dans le temps est une toute petite association en nombre d’adhérents. Son influence ne se mesure pas au nombre d’adhérents, mais au fait qu’il y a très peu de groupes actifs dans ce domaine, qu’elle est la plus ancienne, la plus « légitime » vis-à-vis des pouvoirs publics à cause de cette ancienneté, des habitudes prises, relations nouées, etc.
Du côté de la vape, qu’il s’agisse des entrepreneurs, des usagers, des professionnels de santé, on peut penser qu’il existe un fort potentiel de gens choqués par l’éventualité d’une interdiction des arômes qui pourraient donc être motivés à faire cet investissement modeste pour avoir voix au chapitre au sein du CNCT. Je sais que c’est une analyse théorique et que beaucoup de gens n’ont absolument pas la fibre associative activiste, mais en même temps la situation m’a paru justifier une telle tentative.
Je trouve très frustrant de voir un tout petit nombre de gens s’approprier la direction de la lutte contre le tabagisme, décider que la vape, la nicotine et les arômes « c’est mal » et complètement nier l’expérience de millions de vapoteurs qui ont ainsi réussi à arrêter, risquer d’en voir (combien ?) se remettre à fumer et aussi mettre en danger des milliers d’emplois qui contribuent à aider au sevrage tabagique.
Q- Les statuts du CNCT, si ceux que j’ai pu consulter sont toujours actuels, contiennent des clauses de refus d’adhésion. Ne penses-tu pas que les cadres du CNCT vont simplement bloquer les adhésions pour conserver leur pouvoir sans contestation ni débat ?
C’est facile de dire qu’on peut refuser sans avoir à justifier, mais comment explique-t-on ça au public ? Comment explique-t-on qu’on a, disons 200 adhérents, mais qu’à partir de telle date, sans autre prétexte que le pouvoir souverain du CA, on refuse d’enregistrer 100, 200, 500 nouvelles adhésions ? Ou on accepte celle-là, mais pas celle-ci ? Comment refuse-t-on l’adhésion de « personnalités », par exemple des professionnels de santé comme ceux qui ont signé les pétitions en faveur de la cigarette électronique au fil des ans (120 pour le récent appel lancé par la SOVAPE) ? Comment conserver crédibilité et légitimité dans un tel cas de figure ? Est-on bien sûr que l’ensemble des membres du CA accepteront cette discrimination ? Certains décideront-ils de s’en aller s’ils ne sont pas d’accord ? Bref, la clause de discrimination arbitraire existe, mais son application ne me paraît pas évidente si le nombre d’adhésions est suffisamment important et toute l’affaire publique.
Q- Ta proposition me semble ressembler à ce qui s’était déjà passé au CNCT. Peux-tu nous raconter cette histoire ?
PB : C’est de l’histoire ancienne que j’ai raconté ici dans antitabak, mon blog d’ancien combattant. Il faut remonter à fin 1989. À l’époque le CNCT s’occupait essentiellement, ironie de l’histoire, de l’aide au sevrage des fumeurs, en recommandant les moyens médicamenteux limités de cette période, sans accorder beaucoup de place aux revendications des non-fumeurs pour des espaces sans tabac. La frustration des non-fumeurs, organisés alors dans la Ligue contre la fumée du tabac en public (LCFTP, ancêtre des Droits des Non-Fumeurs, maintenant Demain sera non fumeur), a atteint un tel niveau que j’ai suggéré une invasion démocratique du CNCT, que je croyais possible puisque la LCFTP avait beaucoup plus d’adhérents que le CNCT. Ces adhérents étaient très motivés parce qu’ils étaient souvent véritablement rendus malades par la fumée de tabac, en cas d’asthme par exemple.
Bref, ma proposition a été retenue et une avalanche d’adhésions est survenue qui a rapidement été bloquée afin de ne pas contrarier la tenue de l’assemblée générale de 1990 qui arrivait. Mais ce blocage n’a pu durer, il y a eu des démissions au sein du CA, des désaccords, le blocus a finalement été levé et en 1991, les représentants des non-fumeurs sont devenus majoritaires au CA, choisissant le Pr Albert Hirsch comme président. Louis Allix qui entrait alors au CA, y est encore. Le Pr Bertrand Dautzenberg doit encore s’en souvenir, car n’ayant pas été élu au CA, il est parti pour créer Paris sans tabac, accompagné de plusieurs médecins toujours actives aujourd’hui dans l’aide à l’arrêt et favorables à la vape.
Q- Le CNCT se prévaut d’être la plus vieille organisation antitabac française et de son statut d’utilité publique reçu en 1977. Mais il semble que le CNCT avait une autre approche et d’autres activités, notamment de soutien à l’arrêt tabagique des fumeurs, avant ce « putsch ». Était-ce pour ainsi dire une autre organisation que l’actuel CNCT ?
PB : Tout à fait. Comme je viens de le mentionner, le CNCT était sous la Présidence du Dr Étienne André puis du Pr Gilbert Lagrue qui n’a pas non plus voulu rester après la victoire des non-fumeurs. Notre réticence envers les traitements médicamenteux était qu’ils ne nous semblaient guère efficaces, contrôlés par Big Pharma et qu’ils prenaient toute la place alors qu’en 1991 passait la loi Evin dont il allait falloir soutenir la mise en application.
Mais tout cela c’est de l’histoire ancienne pour la génération des entrepreneurs de la vape, ils étaient à l’époque pour la plupart de jeunes adolescents ou même des enfants et la vape n’existait pas. Ce qui est consternant c’est que le CNCT actuel s’est aligné sur les positions anti-vape extrêmes/extrémistes de la galaxie Bloomberg/OMS. Sans reconnaître la particularité de la vape française, indépendante de l’industrie du tabac et animée par des entrepreneurs farouchement antitabac, mais qui n’ont jamais réussi à se faire entendre, ni tenter le mouvement d’adhésions que je suggère aujourd’hui, ou alors de façon trop timide et limitée.
Q- Comme résident aux États-Unis, tu as pu assister aux campagnes contre le vapotage. Vois-tu des similitudes dans la stratégie déployée aux US et celle que semble emprunter le CNCT en France ?
PB : En fait lorsque les milliardaires Bloomberg et Gates sont devenus hyperdominants dans le financement de la lutte contre le tabagisme, en 2007, ils ont sélectionné/favorisé une poignée d’associations et j’ai été vite marginalisé/exclu. J’ai retrouvé en 2012 un boulot chez un sous-traitant de Microsoft et j’ai perdu le contact avec le monde de la lutte contre le tabac. Je n’y suis retourné qu’en 2017 et c’est seulement à ce moment que j’ai découvert l’abîme qui s’était ouvert entre les partisans de la réduction des risques via la vape et ceux que pour simplifier je qualifierais de Bloombergiens.
Pour comprendre la haine de cette mouvance à l’égard de la cigarette électronique, je vous renvoie à un entretien de Tom Frieden avec Karen Kaplan pour le Los Angles Times en date du 29 avril 2014 : CDC Director explains what he hates about e-cigarettes ["Le directeur du CDC explique ce qu'il hait dans les e-cigarettes"]. À partir du moment où tu es hostile à ce point à ces produits et où les financements que tu distribues rendent toute opposition difficile et te mettent en position très dominante dans les médias, la désinformation et la pensée unique règnent.
Tu rajoutes E-Vali [NdV. la vague de décès et malades liés à des e-liquides au THC provenant du marché noir coupés à l’huile d’acétate de vitamine E en 2019] et il ne reste que des professeurs indépendants parce qu’ils sont indéboulonnables dans leur université et les vapoteurs en révolte, mais à quel prix ! L’exemple le plus marquant pour moi est le témoignage de Mark Slis, gérant d’une boutique de vape dans le Michigan, le 12 septembre 2019 pour protester contre une tentative d’y prohiber les arômes. Tout y est. Mais le rouleau compresseur idéologique a été si puissant que beaucoup d’états n’ont pas résisté, il n’y avait pas partout des Mark Slis, et il ne faut pas négliger la culture prohibitionniste (sauf pour les armes à feu !).
La France est dans un contexte assez différent sauf en ce qui concerne la mainmise du CNCT sur le dialogue avec les pouvoirs publics et les médias sur ces questions qui les rend sourds et aveugles à la réalité du vapotage. Dans l’État de Washington (Seattle) où je vis, la présence d’un politicien respecté vapoteur reconnaissant et déterminé à défendre la vape et la mobilisation des boutiques de vape pour témoigner devant des commissions d’enquête et auprès de leurs députés/sénateurs a permis de limiter les dégâts. En lisant ce matin l’article du VapingPost qui évoque quelques parlementaires comprenant l’importance de la vape et la distinction à opérer quant aux puffs peut redonner espoir dans une approche plus raisonnable.
Cela étant, je pense que ce que je perçois comme la domination idéologique du CNCT sur la DGS, la CNAM et donc potentiellement l’exécutif est très dangereuse. Son contenu est directement importé des USA, made in Bloomberg, repris par une « désOrganisation Mondiale de la Santé » sous influence et des pays/groupes « perroquets » de cette pensée unique. Ils sont obsédés par l’industrie du tabac alors que le marché est en France -jusqu’à présent- complètement différent.
Je vais faire sur ce point une petite remarque personnelle : j’ai une sœur et deux nièces qui étaient de sérieuses fumeuses, insensibles aux hausses de prix, aux paquets neutres, aux avertissements sanglants, et au grand frère/oncle activiste antitabac. Elles sont passées d’elles mêmes à la cigarette électronique distribuée par un industriel du tabac que je ne nommerai pas, mais si elles arrivent à convaincre d’autres personnes de les imiter, tant mieux pour elles et je n’irai pas jeter la pierre à Big Tobacco qui a réussi là où toute la stratégie habituelle avait échoué.
Q- Tu es impliqué dans la lutte antitabac depuis le milieu des années 1980', ce qui te donne un recul certain sur le sujet. La question est peut-être naïve, mais pourquoi à ton avis le courant anti-réduction des risques, fédéré autour du mantra absurde d’un monde sans nicotine, non seulement existe toujours, mais est prédominant dans les instances dirigeantes alors qu’il est en échec de manière flagrante sur le terrain ?
Si tu vas sur la page du CNCT consacré à l’incitation à l’arrêt, tu vois que cela n’est pas du tout une priorité pour eux. Ils misent tout sur la protection des jeunes, la génération sans tabac et les fumeurs actuels devront se passer de la vape. En fait franchement je crois qu’ils s’en f... des fumeurs. Quand tu vois le niveau de la campagne lancée par l’Alliance contre le tabac (ACT) : voyez tout ce que vous pourriez acheter si vous arrêtiez de fumer... Quelle "belle incitation", quel respect pour toutes celles et ceux qui galèrent depuis des années. Mais tu sais tout cela.
La seule manière d’être pris en considération par les dirigeants du CNCT c’est si les défenseurs de la vape deviennent adhérents en nombre suffisant pour menacer/renverser leur mainmise sur l’association. Ils sont trop ancrés dans leurs certitudes et leurs préjugés, pour comprendre autre chose. Ils se sont trop enfoncés/enfermés dans leur doctrine pour la renier, changer d’opinion, de discours.
Q- As-tu une observation ou autre chose à ajouter...
PB : J’en ai déjà trop dit et en même temps il y a tant à dire. J’aimerais seulement que les défenseurs de la vape prennent conscience qu’ils ont le droit de voir leurs idées et leurs pratiques intégrées dans le fonctionnement et la stratégie du CNCT et que rien ne pèsera plus lourd dans la balance que d’être les plus nombreux possible à frapper à la porte. Sésame, ouvre-toi. Il vous en coûtera 20 euros (cliquez en haut à gauche de la page) et envoyez un email à defensedelavape@gmail.com pour que l’on puisse tenir les comptes et voir comment ça se passe. Et faites passer, bouche à oreille, réseaux sociaux, boutiques, professionnels de santé concernés, seules votre détermination et votre volonté d’aboutir peuvent créer ce mouvement pour la défense de la vape.
Merci à Philippe pour sa disponibilité.
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