Plainte contre la consultation sur la politique tabac de la Commission européenne


Fin juin, avec quelques jours de décalages selon les destinataires en raison de contretemps liés au système de mail, j’ai envoyé une plainte à la Commission européenne contre sa consultation biaisée sur la politique antitabac européenne. Pour le moment, je n’ai reçu aucune réponse de la présidente Ursula van der Leyen, ni de la Commission Santé dirigée par Stella Kyriakides. Le Secrétariat général de la Commission m’a informé avoir transmis ma plainte à un autre service, mais celui-ci n’a pas donné signe de vie.

Le bureau de la Médiatrice européenne m’a répondu ne pas entrer en matière pour le moment, afin de donner le temps à la Commission de réagir. « Il s’agit de donner à l’institution de l’UE l’occasion de régler elle-même le problème, sans qu’il soit nécessaire de faire appel au Médiateur », explique le courrier. Je relancerais la Médiatrice si je ne reçois pas de réponse satisfaisante. Un mois après avoir envoyé les mails de plainte, je subodore une atmosphère kafkaïenne à son cheminement. Avant les prochains épisodes, je vous partage le texte de la plainte traduit en français, la version envoyée est en anglais.


adressé à

Ms Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne

Ms Stella Kyriakides, Commissaire à la Santé et la sécurité alimentaire

Ms Emily O’Reilly, Médiatrice européenne

Objet : Plainte concernant de graves problèmes liés à la consultation publique sur l’évaluation du cadre législatif de la lutte antitabac

Madame la Présidente, Madame la Commissaire et Madame la Médiatrice,

Je vous écris pour renouveler ma plainte et attirer votre attention sur les graves problèmes que pose la consultation publique de la Commission européenne sur l’évaluation du cadre législatif pour la lutte antitabac. J’envoie des copies de cette lettre à des parties susceptibles d’être intéressées par la question. Ces problèmes rendent les résultats de cette consultation nécessairement imparfaits et inadéquats pour remplir leur fonction d’évaluation de la politique de lutte antitabac de l’Union européenne. Des mesures sérieuses doivent être prises pour remédier rapidement à cette situation, compte tenu des enjeux majeurs pour la population européenne.

Présentation
De nationalité française, né le 07.07.1971 à Drancy (France), je vis à Genève (Suisse). Mes revenus proviennent de l’assurance invalidité et d’autres prestations complémentaires. Je n’ai aucun lien financier avec l’industrie pharmaceutique, l’industrie du tabac, l’industrie financière ou toute autre organisation « philanthropique », ni avec l’industrie ou le commerce du vapotage. Après de multiples échecs avec les méthodes recommandées, j’ai mis fin à près de 27 ans de tabagisme intensif en 2014 en utilisant le vapotage nicotiné avec différents arômes. Mon état de santé, notamment au niveau de la respiration et de la circulation sanguine, s’est grandement amélioré après avoir arrêté de fumer. Fort de cette expérience, je me suis intéressé aux questions des politiques et réglementations autour du vapotage et des approches de réduction des risques sous l’angle des données scientifiques, de la santé et sociale. Je suis actuellement vice-président de l’association Sovape, basée en France, à titre bénévole.

1.
Le 4 mars 2023, j’ai participé à la consultation publique de la Commission européenne sur l’évaluation du cadre législatif de la lutte antitabac.

Dans l’espace réservé aux commentaires, limité à un maximum de 500 caractères, j’ai signalé à la Commission ce que je considérais comme le caractère manipulateur du questionnaire. Citation (original en français) :

« La formulation manipulatrice de ce questionnaire viole les textes votés par le Parlement européen :

  • le texte du Plan Cancer Européen (BECA), qui reconnaît le principe de réduction des risques du tabagisme, et notamment le fait que le vapotage aide les Européens à arrêter de fumer ;
  • le texte de l’actuelle directive TPD, qui n’assimile pas le vapotage au tabac ;
  • le mandat même de cette consultation ;

Ses résultats ne seront pas valables. »

Je n’ai reçu aucune réponse de la Commission.

Suite à ma participation, j’ai constaté dans les discussions sur les réseaux sociaux que de nombreux autres citoyens ayant participé, ou ayant essayé puis abandonné, étaient choqués par la partialité du questionnaire.

J’ai également pris connaissance d’une lettre datée du 21 avril des députés européens Jessica Polfjärd et Jörgen Warborn (tous deux PPE, Suède). Ils ont signalé à la Commission européenne des problèmes de partialité et ont demandé une reformulation neutre du questionnaire. Je n’ai connaissance d’aucune réaction de la Commission à ce jour.

J’ai également lu dans la presse spécialisée qu’au moins deux entités dans le domaine des produits nicotinés à risques réduits se sont plaintes de l’orientation du questionnaire. Il s’agit du groupe Haypp, dont la plainte a été couverte par le média suédois Vejpkollen , et de la Fédération indépendante des professionnels de vape en France (FIVAPE), dont la plainte a été couverte par le média Vaping Post.

Mon évaluation de la partialité du questionnaire de la Commission est donc partagée par des citoyens, des députés européens, des groupes commerciaux et des associations.

La Commission n’a pas encore rendu publiques les réponses et contributions des participants qui ont choisi de partager leur contribution, de sorte qu’il ne m’est pas possible de faire une évaluation plus détaillée et précise de la proportion de participants qui se sont plaints des biais du questionnaire dans leurs commentaires finaux.

2.
La formulation du questionnaire contient des présupposés implicites qui ne peuvent être rejetés, critiqués ou contournés dans les réponses à choix multiples. De facto, la formulation du questionnaire impose des orientations idéologiques et politiques aux répondants. C’est notamment le cas du déni des avantages des produits nicotinés sans fumée et sans tabac, tels que le vapotage et les sachets de nicotine, en termes de réduction des risques par rapport au tabagisme.

Aucune question ne concerne une approche de réduction des risques visant à encourager les consommateurs à passer de la consommation de cigarettes ou de tabac à rouler, les formes les plus nocives de consommation de nicotine, à des formes moins nocives telles que le vapotage ou les sachets de nicotine. Cette option politique, qui est pourtant efficace pour réduire le tabagisme et les dommages pour la santé de la population, est de fait exclue du questionnaire.

Il est évident, pour qui a une connaissance du sujet, que le questionnaire a été conçu pour générer des réponses en faveur d’un programme politique idéologique étroit et prédéfini.

3.
Cette orientation prédéfinie, les biais et la manipulation du questionnaire ne respectent pas la promesse faite aux participants dans le préambule du questionnaire. La Commission annonce que l’un des objectifs du questionnaire est de « mieux comprendre les différents points de vue, les perceptions des problèmes et les arguments des divers groupes de parties prenantes ». Les questions à sens unique ne permettent en aucun cas l’expression de points de vue différents de celui de la Commission, ni d’autres perceptions des problèmes ou arguments, qui ne peuvent pas trouver de place dans ce cadre.

Ce faisant, la Commission a manqué à son devoir « d’objectivité et d’impartialité » tel qu’énoncé dans son Code de bonne conduite administrative.

En excluant a priori l’approche de réduction des risques, la Commission ne respecte pas le Plan Cancer voté par le Parlement. Pourtant, le point A.1.12 du Plan précise qu’il « considère que les cigarettes électroniques pourraient permettre à certains fumeurs d’arrêter progressivement de fumer ».

A plusieurs reprises, le questionnaire de la Commission assimile le vapotage aux produits du tabac, alors qu’il n’en contient pas, ou parfois le qualifie de nouveau produit. La directive sur les produits du tabac (TPD/2014) actuellement en vigueur considère le vapotage non pas comme un produit du tabac ni comme un nouveau produit, mais comme un produit connexe régi par un article spécifique, l’article 20 de la TPD. La Commission ne peut pas changer le statut d’un produit au gré de ses humeurs, même si tous les participants à ce questionnaire auront compris que c’est son objectif politique. La Commission n’est pas au-dessus des textes, elle doit aussi les respecter.

Enfin, la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la lutte antitabac à son article 1 d. comme incluant les « stratégies de réduction des risques ». L’Union européenne s’est engagée à respecter ce texte et doit donc inclure des stratégies de réduction des risques dans sa politique de lutte contre le tabagisme. Ce sujet est absent de ce questionnaire qui a pourtant pour but de préparer la révision de la législation européenne en matière de lutte antitabac. L’Union européenne devrait montrer l’exemple en suivant pleinement le texte fondamental de la CCLAT, plutôt que de le réduire aux interprétations douteuses des principaux pays producteurs de tabac.

4.
L’orientation, les lacunes et les biais du questionnaire :

  • Ne respectent pas l’engagement de la Commission à prendre en compte différents points de vue,
  • Ne respectent pas l’engagement de la Commission à procéder de manière objective et impartiale,
  • Ne respecte pas le contenu du Plan Cancer et ne respecte pas les textes en vigueur tels que la TPD actuelle,
  • Ne respectent pas le texte fondamental de la Convention-cadre pour la lutte antitabac.

En conséquence, les résultats de la consultation publique seront faussés par ces manquements de la Commission. Ils ne peuvent pas refléter une large partie de l’opinion publique. La consultation a exclu a priori une approche majeure de la politique de lutte antitabac, la plus efficace si l’on compare les différentes stratégies menées dans le monde.

Ce travail biaisé pourrait influencer la rédaction des révisions des directives sur les produits du tabac (TPD et TAD). Un mauvais choix politique dans ce domaine aurait des conséquences majeures puisque 700 000 Européens meurent prématurément chaque année de maladies causées par le tabagisme.

Ce chiffre pourrait être réduit de manière significative avec une politique intégrant la réduction des risques. L’exemple de la Suède illustre cette amélioration de la santé publique, avec déjà deux fois moins de décès prématurés dus à des maladies liées au tabagisme que dans le reste de l’UE. La Nouvelle-Zélande a réduit sa proportion de fumeurs de plus d’un tiers en trois ans en intégrant le vapotage comme aide au sevrage tabagique dans sa politique de lutte contre le tabagisme.

Les dommages causés par les œillères idéologiques de la Commission ne sont pas seulement moraux ; les conséquences seraient une perte existentielle majeure pour les populations de l’Union européenne, se traduisant par des millions de vies dont la santé serait altérée et des vies écourtées alors que cela pourrait être évité.

Plus de 20 millions d’Européens utilisent déjà le vapotage. Les mesures restrictives à l’encontre de cet outil de réduction des risques risquent fort de les pousser à rechuter ou à augmenter leur consommation de cigarettes.
En risquant de ramener les utilisateurs de produits de réduction des risques vers le tabagisme et de restreindre l’accès à ces produits pour les fumeurs actuels, les dommages d’une politique erronée qui découlerait d’une mauvaise évaluation de la situation par la Commission européenne pourraient donc être considérables pour des dizaines de millions de citoyens européens, leurs familles et la société dans son ensemble à travers les conséquences de maladies et de décès évitables mais non évités.

De manière générale, le manque de rigueur, d’impartialité et d’équité de la Commission en matière de réduction des risques liés au tabagisme, tel que reflété dans ce questionnaire, nuit à la crédibilité de l’institution. La confiance du public dans les institutions européennes est fragile et ce type d’approche inéquitable est toxique pour celle-ci.

Le questionnaire a été rempli par près de 16 000 citoyens européens, signe que le sujet leur tient à cœur. Depuis des années, chaque consultation européenne sur la réduction des risques du tabagisme mobilise des dizaines de milliers de citoyens, démontrant ainsi leur sens civique et leur implication. Jusqu’à présent, l’attitude de la Commission a été de mépriser cette participation citoyenne dans ses rapports sur les consultations. Cette attitude réduit le sujet à une bataille entre les intérêts de différents lobbies, à l’exclusion des principales parties concernées. Cette attitude sape la confiance du public dans les organes de l’UE.

En l’état, les résultats du questionnaire ne seront ni fiables ni crédibles. Nous pensons qu’un nouveau questionnaire est nécessaire, soit pour compléter celui existant sur les stratégies et politiques de réduction des risques, soit pour être complètement remanié afin de produire des résultats plus cohérents.

Nous demandons donc à la Commission européenne de se pencher à nouveau sur cette question, d’enquêter sur les dysfonctionnements qui ont conduit à ce questionnaire biaisé et de reprendre le processus de consultation pour l’évaluation de la politique anti-tabac de l’UE.

Nous demandons également à la Médiatrice d’intervenir avec les moyens dont elle dispose pour aider la Commission à respecter son devoir de loyauté envers les citoyens et l’intérêt général sur cette question cruciale de santé publique.


Je vous prie d’agréer l’expression de mes salutations distinguées,

Genève, le 17 juin 2023.
Poirson Philippe

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