Covid et vape: une étude américaine très douteuse fait le buzz

Sa médiatisation est soignée. Un story telling impeccable prend place dans de grands médias, comme NBC, dès la publication en ligne hier de l’étude dans le Journal of Adolescent Health (JAH). Dans la foulée, l'élu démocrate au Congrès Raja Krishnamoorthi demande l’interdiction totale du vapotage durant « l’épidémie de coronavirus » en raison de ces résultats. Pourtant, la publication à l’origine de ce buzz médiatico-politique est étonnamment courte et peu claire. En cinq pages, les chercheurs menés par la Dre Bonnie Halpern-Felsher, pédiatre à l’Université de Stanford en Californie, affirment que le vapotage multiplie par 5 à 7 fois le risque de Covid-19. Une affirmation extraordinaire dont il est plus que difficile de s’assurer de la validité avec les données présentées dans l’étude.

Un sondage plutôt qu'une étude

L’étude s’appuie sur un sondage commandé à Qualtrics, spécialiste de la « gestion des expériences », sur 4351 jeunes Américains de 13 à 24 ans entre le 6 et le 14 mai dernier. Environ la moitié des jeunes recrutés pour le sondage déclarent avoir utilisé au moins une fois dans leur vie le vapotage, tandis que l’autre moitié ne l’a jamais essayé. 

13,7 % versus 13,1 % de tests positifs au Sars-Cov-2

Parmi ceux qui n’ont jamais essayé le vapotage, 5,7 % se sont fait tester, soit 123 jeunes dont 17 se sont révélés positifs. Cela représente 13,7 % des jeunes jamais vapoteurs positifs parmi ceux testés. Du côté des jeunes qui ont essayé le vapotage au moins une fois dans leur vie, 382 se sont fait tester, 50 étaient positifs. Soit 13,1 % des jeunes ayant vapoté une fois dans leur vie ont été testés positifs.
[add 14-08-2020] "La proportion de personnes ayant donné un résultat positif était de 14 % chez les jamais-utilisateurs et de 13 % chez les personnes qui ont déjà utilisé une cigarette électronique. Plus de tests identifient plus de cas, mais les résultats de l’étude en fait ne suggèrent pas une augmentation du risque de Covid chez les utilisateurs de cigarettes électroniques", explique le Pr Peter Hajek, directeur de l’Unité de recherche sur la dépendance au tabac à l’Université Queen Mary de Londres sur le site du Science Media Centre UK. [/]
[Add 19-08-2020] Le Pr Brad Rodu a analysé sur son blog les chiffres pour recherché le nombre brut de cas sur lesquels s'appuient les ratios de risque présentés. Il abouti à ce que l'annonce d'un risque multiplié par cinq pour les jeunes ayant vapoté au moins une fois dans leur vie, mais pas depuis au moins un mois, serait basé sur 5 cas. Le risque augmenté par sept pour les jeunes qui ont vapoté et fumé une fois dans leur vie, mais pas dans le dernier mois, se baserait sur 3 cas. La Dre Bonnie Halpern-Felsher a refusé de commenter son calcul et de communiquer les données réelles. [/]

13,7 % de tests positifs d’un côté, 13,1 % de tests positifs de l’autre... On a du mal à voir la différence de risque entre les deux groupes. Mais les chercheurs ont préféré, d’une part cacher dans leur présentation ce rapport entre testés et positifs des deux groupes, et d'autre part, calculer le ratio de risque sur le total de chaque groupe sondé. 17 positifs sur 2168 jamais utilisateurs contre 50 positifs sur 2183 ayant vapoté une fois dans leur vie. Cette approche est-elle valable ? Pour plusieurs raisons, clairement non.

Le marketing vise d’autres objectifs que les études sur la santé

En premier lieu, le mode de recueil des données, par une entreprise spécialisée dans le marketing, n’est pas adéquat pour livrer une enquête de ce type. Les données indiquent un biais de sélection assez net. Par exemple, si les chiffres étaient représentatifs de la population alors cela signifierait que plus de 40 % des tests effectués à cette période (avant le 14 mai) aux États-Unis concernaient seulement les 13 à 24 ans. Ce serait très inquiétant pour les autres catégories d’âge, réputées plus sensibles au virus. 

Ce biais de sélection semble fausser l’interprétation que donnent les chercheurs à leurs résultats à travers l’énorme écart du taux de test entre les différentes catégories (voir table 2 plus bas). Ce sont ces écarts de testing dans le panel sondé qui provoque les différences entre les groupes mises en avant par les chercheurs. 

"La conclusion des auteurs est basée sur le diagnostic plus fréquent de Covid-19 chez les adolescents ayant vapoté une fois dans leur vie. Cependant, ils ont été testés de 3 à 9 fois plus souvent que le groupe contrôle [les jamais-utilisateurs]. Il n'y a pas eu de différence entre les tests (13.1% positifs chez les "vapoteurs" contre 13.7%  chez les jamais-vapoteurs). Au moins, la question se pose pourquoi les "vapoteurs" ont été testés presque 10 fois plus souvent que les jamais-vapoteurs", remarque le Dr Bernd Mayer, de l'Université de Graz, sur son compte Facebook (en allemand, ma traduction).

Une présentation trompeuse des résultats

Une seconde raison est une incohérence majeure et inexpliquée par l’étude dans les données présentées. Dans les ratios de risque pondérés calculés par les chercheurs, les jeunes qui ont déclaré avoir vapoté dans le mois précédent ne présentent pas un risque significativement supérieur, contrairement à ceux qui ont vapoté une fois dans leur vie il y a au moins plus d'un mois. 

« L’usage à vie, mais pas celui courant, du vapotage lié à la Covid-19. C’est comme dire qu’avoir mangé une fois dans sa vie du bacon, mais pas si c’est au quotidien est lié à l’obésité ! », ironise le Dr Konstantinos Farsalinos, de l’Université d’Athènes dans un tweet, commentaire plus développé sur son Facebook.

L’échantillon étant faible, la fourchette de risque avec un indice de confiance correct (à 95 %) pour ceux qui ont utilisé le vapotage dans le mois précédent s’étale de 0,77 à 4,73 fois le risque des jamais utilisateurs. Par contre, ce ratio de risque est plus élevé parmi les double-usagers (cigarette et vapotage) allant de 1,98 à 24,55 fois le risque des jamais vapoteurs. Il n’est pas cohérent d’accuser le vapotage d’être la cause du risque alors qu’un usage plus récent montre un ratio de risque plus faible qu’un usage qui remonte à plus d’un mois minimum.

L’absence de recherche de co-facteurs potentiellement confondants

Les incohérences auraient dû pousser les chercheurs, s’ils étaient vraiment intéressés par une démarche de connaissances scientifiques, à interroger les jeunes sur leurs pratiques sociales, pour corréler ou décorréler celles-ci des risques d’infection. Sur les 15 questions du sondage, une seule formulée de manière vague concerne s’ils ont suivi ou non les mesures de protection en place. Ce qui est très flou dans l’état de communication des autorités sanitaires américaines.

Au cas où les auteurs donnent accès aux données de manière plus transparente, d'autres analyses plus précises pourront être formulées. Mais en première lecture, cette publication n'est pas digne de confiance sur les conclusions qu'elle affirme sans fiabilité ni clarté. Elle ressemble plutôt à une pièce d'une opération de communication politicienne pour faire pression sur la Food and Drug Administration (FDA) dans le contexte américain de mise en place d'une quasi-prohibition du vapotage. 

En résumé :

  •  L’étude publiée est de très mauvaise qualité. Son recueil de données confié à une entreprise de marketing n’est pas adéquat à une recherche de ce type, et a produit des données non représentatives au propos. 
  • La présentation des résultats est tendancieuse, puisqu’elle masque l’absence de sur-risque d’être infecté au Sars-Cov-2 entre les différents groupes de jeunes testés. 
  • Les sous-groupes sont de dimensions si restreintes que les ratios de risques à un indice de confiance suffisant ont une énorme fourchette. 
  • Les co-facteurs de risques, notamment des activités sociales des jeunes n’ont pas du tout été prises en compte. Ce qui est simplement ridicule pour une étude sur le sujet.
  • Le plan de médiatisation me donne la sale impression que l’étude est une simple pièce pour une opération de comm' politique. 

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