La justice saisie contre la prohibition des arômes de vape aux Pays-Bas

Esigbond, l’association professionnelle des vendeurs indépendants de vapotage, attaque l’État néerlandais en justice. La plainte contre la prohibition des arômes de vape a été déposée ce 7 avril. Le processus judiciaire pourrait prendre plusieurs années alors que l'interdiction a finalement été programmée au 1er octobre, après avoir été annoncée en janvier puis en juillet. Il est trop tôt pour savoir si un effet suspensif pourrait intervenir. L’interdiction des arômes de vape signifierait que tous les e-liquides actuels, y compris ceux goût « tabac », ne seraient plus disponibles à la vente légalement aux Pays-Bas. En effet, les autorités néerlandaises ont déterminé une liste restreinte à 16 molécules seules autorisées pour aromatiser un e-liquide.

Arôme cendrier froid du RIVM

L’Institut national de santé publique (RIVM) prétend que ces 16 aromatisants permettent de confectionner des e-liquides goût « tabac ». Reinskje Talhout, du RIVM, a présenté sa liste de molécules légalement autorisées lors du Congrès sur le vapotage de l’Institut national du cancer (INCa) à Paris en décembre dernier. Reconnaissant d’ailleurs à cette occasion que l’interdiction provoquerait probablement une hausse du tabagisme et du marché noir en y poussant certains vapoteurs actuels. 

Il paraît effectivement improbable que les 300 000 vapoteurs néerlandais s’habituent au goût « cendrier froid de vieux mégots cramés » labellisé RIVM. « L’institut RIVM a utilisé une liste de base inadéquate, ce qui a abouti à une liste trop stricte d’arômes qui ne peuvent même pas être utilisés pour fabriquer une saveur correcte de “tabac”. Le RIVM refuse de fournir de plus amples informations sur la recherche et la création de la liste et n’a pas vérifié la liste de base avec le marché pour une analyse de la sélection d’arômes valables », critique l’Esigbond.

Le mythe de la passerelle pour seule justification

Pour justifier cette prohibition de facto du vapotage, le Secrétariat d’Etat à la Santé, aux mains du Parti Évangéliste depuis 2017, s’est appuyé sur une enquête de l’institut Trimbos concernant les usages des adolescents en 2019. « Ces observations récentes suggèrent de plus en plus que les e-cigarettes peuvent être un tremplin vers le tabagisme », affirme Paul Blokhuis, alors secrétaire d’État à la santé, dans son mémorandum pour l’interdiction des arômes de vape en décembre 2020. 

En réponse, vingt-quatre chercheurs antitabac de stature internationale ont jugé le projet d'interdiction inadéquat. Les auteurs listent 12 points sur lesquels la justification des autorités néerlandaises est autocontradictoire et la mise en vigueur de la mesure provoquerait des effets nuisibles. « Cette mesure rendrait impossible l’utilisation d’approches de réduction des méfaits, malgré leur énorme potentiel de réduction de maladies et de décès. Sa justification comprend mal la nature des comportements à risque des jeunes. Elle reviendrait à étendre la guerre contre la drogue à la nicotine, mais à une époque où les échecs de la prohibition sont largement reconnus », expliquent les chercheurs. 

De son côté, Esigbond estime que l’analyse de l’institut Trimbos sur les adolescents était « non scientifique et non représentative ». « L’enquête n’a interrogé qu’un quart du nombre de répondants requis pour obtenir un niveau suffisant de représentativité », souligne l’association plaignante. L’institut Trimbos avait déjà montré son manque d’objectivité sur le sujet dans de précédents travaux, comme l’avait analysé ACVODA, l’association des vapoteurs. 

Le vapotage était l’aide la plus utilisée pour arrêter de fumer aux Pays-Bas

Le parti pris des autorités néerlandaises contre l’outil de réduction des risques est manifeste. Pourtant, les fumeurs néerlandais étaient parmi les plus grands bénéficiaires de la vape pour arrêter de fumer. Selon une étude de l’International Tobacco Control (ITC), près du tiers des fumeurs tentant d’arrêter de fumer aux Pays-Bas s’aidait du vapotage en 2016. 

L’indicateur a disparu pour les Pays-Bas sur le suivi de cette étude internationale les années suivantes ! Faites disparaitre ces impertinents ayant arrêté de fumer avec la vape que le ministre ne veut pas voir. Paul Blokhuis n’a pas non plus daigné tenir compte des 98 % de refus à l’interdiction des arômes durant la consultation publique ouverte par son ministère.

La gouvernance par le mépris chahutée dans les urnes

Les pratiques déloyales des technocrates ainsi que le mépris du Secrétaire d’État à la santé envers les vapoteurs et les chercheurs favorables à la réduction des risques semblent illustrer une césure politique plus profonde aux Pays-Bas. Les élections du 15 mars dernier ont vu le Mouvement agriculteur citoyen (BBB), créé seulement en 2019, devenir la première force politique au Sénat et dans l’ensemble des conseils régionaux néerlandais. Un coup de tonnerre que René Cuperus, proche de la gauche, dans le quotidien NRC Handelsblad analyse comme « la révolte des Néerlandais contre une élite hors-sol ».

L’article du politologue, traduit dans le Courrier international, souligne que « les citoyens ont l’impression d’être les objets d’un gouvernement technocratique, le pays est gouverné au-dessus d’eux, et non avec eux ». Et ceci pour des résultats douteux, où s’accroit le fossé entre favorisés imposant leurs « chevaux de bataille moraux » à des classes populaires en subissant les contraintes. « L’image positive que les Pays-Bas avaient d’eux-mêmes, celle d’un pays bien organisé, raisonnablement équitable, a pris du plomb dans l’aile », estime René Cuperus. 

Morale d’élite contre droit personnel

Au chapitre du vapotage, le mépris des politiciens et des technocrates et leur refus de tout dialogue avec les usagers, les défenseurs d’une approche de réduction des risques et les professionnels de vape aboutit donc au dernier recours citoyen possible : la justice. Le sujet de fond sur lequel les juges devront trancher correspond à la césure politique entre classes. 

D’un côté, un rigorisme moral que l’élite veut imposer à la population au nom de la santé, de l’autre le droit personnel fondamental à la réduction des risques concernant en priorité les classes populaires où se trouvent la très large majorité des fumeurs. « Avec cette interdiction étendue des arômes, le gouvernement prive les trois millions de fumeurs aux Pays-Bas de la possibilité d’arrêter de fumer. Paradoxalement, le gouvernement encourage l’usage de la cigarette avec cette mesure », déplore Emil 't Hart, président d’Esigbond.

L’interdiction va frapper les adultes, pas les ados 

Cette prohibition interviendrait alors qu’aux Pays-Bas, les magasins de vape sont déjà astreints à procéder à un contrôle strict de l’âge des acheteurs. L’interdiction des arômes ne s’appliquerait qu’aux adultes, la vente aux mineurs étant interdite. Ceux-ci s’approvisionnent évidemment déjà sur les marchés parallèles.

Esigbond rappelle avoir alerté et demandé aux autorités néerlandaises d’intervenir à ce sujet. « L’Autorité sur l’alimentation et les biens de consommation (NVWA) n’a pas été capable d’empêcher, de réduire ou de contrôler ce marché illégal. Il ne sert à rien d’imposer une législation supplémentaire si elle ne peut pas être appliquée : c’est précisément la partie qui respecte les règles qui sera affectée », argumente l’association professionnelle.

Les dealers se réjouissent de la prohibition 

Une enquête publiée par Vrij Nederland ce 6 avril vient confirmer ce constat. L’hebdomadaire montre comment des adolescents néerlandais utilisent Tik-Tok et Snapchat pour organiser achats et ventes de vapes, essentiellement des puffs. « La question de l’interdiction des arômes ne se pose pas pour ces jeunes, qui n’achètent plus depuis longtemps leurs vapes dans les bureaux de tabac ou les boutiques de vapotage », affirment les auteurs, membres d’Investigative Desk, une entreprise de journalisme qui a travaillé pour Bloomberg de manière masquée par le passé. 

Un dealer de puffs de la ville de Steenbergen que les journalistes ont interrogé ne serait pas inquiet par la prohibition à venir. Au contraire, il y voit une opportunité selon les propos rapportés par les journalistes : « Les gens qui achètent normalement à leurs magasins viendront bientôt chez moi ». À moins que ceux-ci ne retournent grossir les rangs des 20 % de fumeurs de tabac actuels ou, plus positivement, que la justice ne tranche en faveur du droit à la réduction des risques en abrogeant la prohibition.

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