[Op] France: Est-il acceptable de "sanctuariser" un fonds tabac qui exclut la réduction des risques?
En 2018, est-il encore acceptable que des fonds de lutte contre le tabagisme excluent les approches de réduction des risques? Le sujet est tabou, pourtant un débat devrait s'imposer au moment où les organisations anti-tabac traditionnelles font le forcing pour maintenir la main mise sur le "Fonds national de lutte contre le tabac" en France. Un nouveau prélèvement sur le chiffre d’affaires des fournisseurs de tabac finance ce fonds depuis 2017. Près de 590 millions € devraient être distribués d'ici 2022, dont 100 millions ont déjà été mis en jeu au printemps dernier.
Sainte homélie
Et pourtant ces dernières semaines, les organismes traditionnels anti-tabac montent au créneau. En cause, le projet du budget de la Sécurité sociale pour 2019 (PLFSS 2019) de fusionner les fonds concernant les conduites addictives, sans privilège pour la lutte anti-tabac. Un premier communiqué d'Alliance contre le tabac le 12 octobre dernier accusait le gouvernement de chercher à "dévier la lutte contre le tabagisme vers la lutte contre l’ensemble des addictions" et faire "le jeu des lobbys industriels" (sic!). Nouveau communiqué ce 27 novembre, cette fois de la Fédération française d'addictologie (FFA) réclamant la "sanctuarisation" du fonds tabac.
A la pêche aux spécificité universelles
"On observe une spécificité du comportement tabagique en France", explique le communiqué pour justifier de "sanctuariser" le Fonds tabac afin "de développer une recherche adaptée aux besoins du pays". Problème, l'attribution des aides provenant du Fonds impose de s'inscrire dans les "préconisations de la Convention-Cadre de lutte anti-tabac (FCTC) de l'Organisation Mondiale de la Santé", précise par exemple le cahier des charges de l'appel à projets à "la société civile" de mai dernier.
Un modèle dont un article d'Aurélie Lermenier-Jeannet pour l'Office français des drogues et toxicomanie (OFDT) a montré, sans tout à fait l'assumer, l'inefficacité en France. L'exclusion stricte dans les recommandations du Secrétariat de la FCTC du principe de réduction des risques, bien qu'il soit spécifié dans l'article 1 §d de sa Convention originale (en anglais), n'est pas étrangère à cet échec.
Reproduction sociale 2.0
Le hiatus de cohérence entre la justification pour maintenir l'exception tabac et les actes liés à ce financement se cristallise autour de cette exclusion de l'approche de réduction des risques. Le cadre étroit imposé au printemps au volet de la "mobilisation de la société civile" - avec des guillemets dans le texte original -, est la "dénormalisation" du tabagisme et l'abstinence.
Outre la cage idéologique, les barrières usuelles pour préserver l'entre-soi ont été utilisées: forme bureaucratique et vocabulaire à mots-clefs, délai raccourci combinée à une diffusion choisie ont assuré à un cercle restreint d'initiés de pouvoir postuler à une part du gâteau de 100 millions € en juin. La sélection fait le reste. Le cercle se félicite de cette imperméable distribution. Et on apprécie mieux le sens ironique des guillemets à "mobilisation de la société civile".
Faut-il quitter la lutte anti-tabac pour arrêter de fumer?
Pourtant une dizaine de jours avant la date limite des soumissions, l'enquête de Santé Publique France révélait que 27% des tentatives d'arrêt tabagique en France en 2017 se sont déroulées avec le vapotage. Premier recours, en dehors de leur propre motivation, utilisé par les fumeurs qui veulent s'en sortir. Autrement dit, une large part du public n'a pas attendu les millions du Fonds tabac pour choisir une approche efficace, bienveillante et non-abstinente en nicotine. Ils avaient probablement raison de ne plus attendre.
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