Une hypothèse fumeuse sur l'origine d'une pneumopathie au Canada devient une certitude à buzz anti-vape pour l'AFP
C'est répétitif et du coup, un peu lassant à débunker. Un travail d'un niveau scientifique proche de la cave devient un buzz affolant dans la presse grand public, via l'emballage trompeur de l'AFP. En l’occurrence, une suite d'hypothèses douteuses présentées par des médecins canadiens dans la revue du Canadian Medical Association Journal (CMAJ) devient un diagnostic établi sous la plume de l'AFP. Dépêche reprise sans vérification ni distance critique par divers médias francophones. Le papier des médecins canadiens, publié avant-hier avant révision par des pairs, présente le cas d'une pneumopathie d'un adolescent de 17 ans, pris en charge en hôpital durant 47 jours, avec une assistance respiratoire et un traitement aux corticoïdes, avant de rentrer chez lui. La phrase la plus importante du texte médical est "le mécanisme exact de l'atteinte et l'agent causal sont inconnus".
Tout le reste du texte doit se lire à partir de cette ignorance et être interprété pour une hypothèse. A l'opposé de toute loyauté pour le lecteur et d’honnêteté intellectuelle, l'AFP transforme l'hypothèse, mal fondée comme nous allons le voir, en buzz. Rappeler aux journalistes de l'AFP les devoirs des journalistes de la charte de Munich est inutile, ils ne savent pas qu'elle existe.
Inférence inversée sur un postulat branlant
L'hypothèse de Simon T. Landman et de ces confrères est que le jeune homme a subi une bronchiolite oblitérante à cause de son vapotage, qu'il utilisait depuis 5 mois, parce que des liquides contiendraient du diacétyle. N'étant pas en mesure de faire une biopsie chirurgicale des bronchioles, "ceci nous a amenés à considérer la possibilité d'une exposition toxique par inhalation de vapotage comme la cause de la bronchiolite aiguë et, étant donné l'exposition aux composés aromatisants des e-liquides, nous avons fait le postulat que la bronchiolite oblitérante pourrait s'être développé chez ce patient", précisent les médecins. Oui, c'est ça: une hypothèse puis un postulat sur la maladie même, avec une inférence inversée entre deux. Bingo au concours de paralogisme.
Or plusieurs éléments font énormément douter de cette construction hypothétique. Dans l'ordre logique, leur première hypothèse est que le malade est atteint d'une bronchiolite oblitérante. Les médecins canadiens appuient ce postulat sur l'analyse des images des poumons du malade, qui montrent une inflammation sévère. On ne sait pas pourquoi, les médecins canadiens ont décidé que ces images écartent le diagnostic de pneumopathies similaires à celles des jeunes américains avec les liquides frelatés à la vitamine E du marché noir de produits au THC. Pourtant, dans plusieurs cas des malades américains, les images des poumons présentent des signes similaires à celui du jeune canadien.
Pour assurer un diagnostic de bronchiolite oblitérante, les médecins auraient du faire une biopsie chirurgicale des bronchioles. C'est délicat et dangereux pour le patient, et on peut comprendre qu'ils aient abandonner ce test. Mais sur la base de ce qu'ils ont à disposition, leur hypothèse n'est qu'une hypothèse et le point le plus important est que "le mécanisme exact de l'atteinte" reste "inconnu".
Cachez ce liquide frelaté que je ne saurais voir
Or, un élément essentiel plaide pour prendre en considération l'autre hypothèse d'un possible rôle d'un liquide frelaté. Cet élément est tout simplement que le patient a expliqué vapoter des liquides traficoté avec du THC. Pourquoi les médecins écartent cette piste et n'ont pas analysé le liquide supposément au THC ajouté par le jeune? Comment être sûr qu'il n'a pas inhalé des adultérants tels que la vitamine E ou des lipides ou des pesticides, comme aux Etats-Unis, à travers ça? Le postulat des médecins canadiens les a condamné à ne pas considérer cette possibilité.
Sur la base de leur postulat douteux, mais pas impossible, d'une bronchite oblitérante, ils ont décidé de traquer la présence de diacétyle dans les liquides vapotés par le jeune homme. Dans leur papier, ils disent en avoir trouvé. Mais ils ne donnent aucune précision ni sur les liquides, ni sur les doses. Une source dont je dois conserver l'anonymat pour préserver sa sécurité - les représailles contre les scientifiques osant ne pas se conformer aux mots d'ordre anti-vape devenant fréquentes et violentes* - confirme que des analyses montrent que deux des onze concentrés utilisés par le jeune homme pour confectionner ces liquides de vape contiennent des doses minimes de diacéthyl.
Les vapoteurs sont-ils humains ? La science s'interroge
Il est extrêmement improbable que les doses relevées dans deux des concentrés, qu'il est nécessaire de diluer pour les vapoter, puissent générer des taux de diacétyle inhalé au dessus des normes de sécurité avec un usage réaliste. Sur ce point, l'article de Joseph Allen, cité en référence par les médecins canadiens, publié en 2015 dans Environnemental Health Perspectives avait postulé un vapotage en continu similaire au volume respiré. Or, faisons-en la révélation, mais les vapoteurs respirent entre deux bouffées. Ils restent des humains, même si les anti-vape en doutent fortement de toute évidence.
Les taux mesurés de diacétyle (2,3 butanedione) dans 38 liquides sur 51 - et non dans tous contrairement à ce que prétend l'AFP - de cette étude de 2015 montraient en moyenne, 9 parts par milliard dans les aérosols dégagés par les vapoteuses. Soit avec une consommation réaliste, environ 750 fois moins que dans la fumée de cigarette, qui n'a jamais été liée de manière causale à une bronchiolite oblitérante. Et 8700 fois moins que les taux relevés dans l'usine de pop-corn où des ouvriers ont été touchés par une bronchiolite oblitérante en 2000 (780 parts par million dans la salle de mélange).
A l'époque, les vapoteurs avaient fait pression avec succès pour limiter au minimum le diacétyle dans les liquides. La plupart des producteurs ont changé leur composition ou disparus. En Europe, la norme AFNOR le limite drastiquement d'ailleurs. Cependant, à l'exception d'un liquide américain à la pêche plus dosé, les liquides testés par Harvard en 2015 dégageaient des aérosols contenant moins de diacétyle (pour ceux qui en avaient) que le fumet d'une tasse de café. Ce qui nous amène à revenir sur un dernier point troublant du papier des médecins canadiens.
Fast-food, fake-science et bullshit-media?
A travers leur construction hypothétique, ils en arrivent à accuser le vapotage conventionnel, en dépit de l'usage de produits du marché noir douteux par le jeune homme. Et cette accusation pointe la présence de diacétyle dans des liquides, sans donner les mesures qu'ils ont fait. Mais les médecins canadiens ne se sont pas intéressés aux conditions de travail du jeune homme. Or, celui-ci bosse dans un fast-food. Les frites surgelées, les pains et les gâteaux des fast-foods notamment sont connus pour contenir des doses importantes de diacétyle.
Et pourtant, ils n'ont pas essayé de mesurer le taux de diacétyle dans l'air ambiant du lieu de travail auquel est exposé le jeune homme. Hum... Croient-ils vraiment à leur hypothèse ? En tout état de cause, une hypothèse peut être soumise à discussion dans le cadre scientifique. Mais qu'elle devienne une vérité diffusée sans précaution ni distance critique minimale médiatiquement est déontologiquement honteux pour les journalistes et pour les médecins à l'origine de cette mésinformation.
*A propos des représailles contre des scientifiques et chercheurs sur le sujet, l'exemple du harcèlement de Marewa Glover en Nouvelle-Zélande est évoqué par le Pr Jean-François Etter dans son analyse sur la Fondation Smoke-Free World à la Royal Society dont la vidéo est en ligne.
Et repris en coeur par nombre de médias français en reprenant mots par mots la dépêche AFP . Dans mon entourage les raisonnements tout aussi fumeux commencent à faire leur apparition.
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