Analyse du tabagisme adolescent américain sur 20 ans: la vape détourne des jeunes de la cigarette

Une nouvelle analyse, parue dans la revue Addiction le 25 avril, montre que l’apparition du vapotage aux États-Unis a favorisé la chute du tabagisme adolescent. Entre 1999 et 2018, le taux de tabagisme établi des 12 à 17 ans américains est passé de 12 % à moins de 1 %. L’apparition du vapotage autour de 2009 a accéléré la chute du tabagisme adolescent, un phénomène qui écarte la possibilité d’un effet de passerelle du vapotage vers le tabagisme. Mais la Dre Arielle Selya et Floe Foxon, de l’institut Sandord Research, vont plus loin en ayant calculé la courbe contre-factuelle de l’évolution du tabagisme adolescent si la vape n’était pas apparue. Leur analyse montre que, sans la vape, autour de 2,5 % des adolescents américains de plus seraient fumeurs établis.

L’usage établi comme critère d’inclusion

Les deux chercheurs universitaires se sont appuyées sur les données de 1999 à 2018 de l’enquête annuelle nationale sur les jeunes et le tabac (NYTS), qui ont interrogé de 12 500 à 31 000 jeunes de 12 à 17 ans chaque année. Ils ont pris en compte les jeunes qui avaient fumé au moins 100 cigarettes ou vapoté au moins 100 jours dans leur vie. Ce choix de critère « est motivé par le fait que l’usage établi, plutôt que l’initiation ou expérimentation ponctuelle, est pertinent pour les risques sanitaires au niveau de la population », expliquent les auteurs. 

Ils se démarquent ainsi des études prenant en compte toute utilisation, même d’une seule taffe. Prendre en compte l’exposition cumulative à vie a aussi permis aux chercheuses de contourner une erreur du questionnaire aux adolescents concernant leur expérimentation du vapotage, qui n’a été corrigée qu’en 2014.

L’écroulement du tabagisme adolescent

À partir de ces données, la Dre Arielle Selya et Floe Foxon ont analysé les taux de fumeurs, vapoteurs et double-usagers (à la fois fumeurs et vapoteurs) au fil des années depuis 1999. Traçant ainsi leurs évolutions à travers une courbe tendancielle. Le tabagisme établi a fortement diminué chez les adolescents américains au cours des deux décennies. L’apparition du vapotage autour de 2009 a progressé au fil du temps, ainsi que le double-usage cigarettes et vape.


Le détournement de la cigarette par le vapotage est en soi un bénéfice de santé publique, par la diminution du risque individuel estimée à au moins 95 % par le Royal College of Physicians britannique et le Public Health England. Les auteurs soulignent également qu’en additionnant les différentes consommations établies, le total des consommateurs de nicotine a continué de baisser après l’arrivée du vapotage. « L’introduction du vapotage n’apparaît pas avoir provoqué de changement de tendance de la prévalence totale des consommateurs de nicotine », soulignent la Dre Arielle Selya et Floe Foxon.
« L’examen de la consommation de nicotine des adolescents montre que l’apparition du vapotage ne semble pas avoir augmenté la prévalence totale des adolescents consommateurs de nicotine, ni servi de passerelle vers la consommation de cigarettes. En fait, les résultats sont plus cohérents avec un effet de détournement des adolescents de la consommation de cigarettes par le vapotage », résument les deux chercheuses. 

Que ce serait-il passé sans la vape ?

Leur analyse contre-factuelle montre que, si la vape n’était pas apparue, de 0,5 % à 4,5 % de l’ensemble des 12 à 17 ans américains supplémentaires seraient devenus fumeurs établis par rapport au taux de fumeurs, y compris les doubles-usagers, dans la situation actuelle avec la vape. 


Une initiation au vapotage près de deux ans après celle du tabagisme

Les chercheurs ont également analysé les évolutions de l’âge d’initiation des différents usages. « Des études antérieures ont montré qu’une initiation plus jeune est un facteur de risque de consommation ultérieure de nicotine », précisent-ils. Depuis l’apparition du vapotage, l’âge d’initiation aux cigarettes (fumées) a augmenté, passant d’une première cigarette dans la 11e année à une première expérience dans la 12e. La première initiation au vapotage se situe en moyenne plus tard, au cours de la 13e année. Cet âge moyen ne semble pas avoir évolué. 

Par contre, l’entrée en double-usage s’est abaissée au fil des années. L’interprétation a donner à cette évolution n’est pas discutée par les auteures. On peut imaginer que les jeunes ont intégré de tenter de passer au vapotage pour se défaire du tabagisme plus tôt, ou dans une approche négative, que la consommation des deux produits devient courante plus jeune. Des enquêtes qualitatives pourraient aider à explorer la question.
« Le marketing du vapotage ne semble pas avoir abaissé l’âge de la première exposition à la nicotine des jeunes adolescents. Toutefois, l’âge de l’initiation au double usage tend à un certain déclin, tout en restant à un âge nettement plus élevé que celle aux cigarettes. Ce point demande une étude plus approfondie avec les données à venir », synthétisent la Dre Arielle Selya et Floe Foxon.

Un effet de détournement connu et confirmé, mais tabou

La démonstration du phénomène de la réduction accélérée du tabagisme sous l’impact du vapotage n’est pas à proprement nouvelle. Notamment aux États-Unis, le Pr David Levy, de l’Université de Georgetown (Washington, USA) avait montré une accélération par trois de la chute du tabagisme adolescent dans une étude que nous avions relatée en 2018, et qu’il a présentée au Sommet de la vape 2019 à Paris dont la vidéo (20 min) est en accès libre en anglais et en version doublée en français.

Un point fort de la nouvelle étude de la Dre Arielle Selya et Floe Foxon, en plus du nombre d’années prises en compte dans l’évaluation, est de présenter le calcul de la situation contre-factuelle. Cette projection réduit de facto à néant les études biaisées prétendant illustrer la théorie fumeuse de l’effet passerelle vers le tabagisme du vapotage.

Le point aveugle du poids réglementaire

Un point faible de l’étude est la mise sur le côté de l’influence des réglementations. Sur le vapotage notamment, les États ont suivi des politiques différentes. L’interdiction de vente des produits de vapotage aux mineurs est entrée en vigueur au niveau fédéral en 2016. La réglementation de la publicité varie entre les États et parfois même au sein de ceux-ci. Aussi, le Family smoking prevention and tobacco control act (FSPTC) a donné autorité sur les produits du tabac à la Food and Drug Administration (FDA) en 2010. 
« Étant donné que la mise en œuvre de cette loi par la FDA a fait l’objet de critiques et que peu de recherches ont examiné son efficacité, l’effet réel du FSPTC sur la prévalence de l’usage de nicotine reste ambigu. (...) Ayant trouvé des preuves d’un possible effet de détournement en utilisant la modélisation des tendances contre-factuelles, de futures recherches devraient examiner d’autres facteurs de confusion au niveau de la population, tels que les réglementations », précisent les chercheurs.

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