Surveillance politique: une équipe sino-américaine fiche 332 activistes de la vape sur Tweeter [MàJ]

Fruit d'une collaboration entre le Laboratoire clef d'Etat sur les nouvelles technologies de l'Université de Nanjing en Chine et le NORC de l'Université de Chicago aux Etats-Unis, un programme de surveillance des opposants aux campagnes anti-vapotage a livré ses conclusions. Publié dans la revue privée de l'Institute of Electrical and Electronical Engineers (IEEE), organisation internationale de professionnels des nouvelles technologies, les auteurs dénoncent une "même communauté pro-vapotage" derrière les critiques sur Tweeter aux campagnes américaines contre la réduction des risques à l'aide du vapotage. 

"Bien qu'il existe des preuves que le vapotage peut réduire les dommages pour les utilisateurs adultes qui réduisent ou arrêtent de fumer la cigarette combustible, et peu de preuves que les e-cigarettes causent des dommages à long terme, les défenseurs pro-vape ont utilisé cette base de preuves équivoques [sic!] pour s'opposer aux messages des campagnes médiatiques anti-vapotage, générant un volume très élevé de messages d'opposition sur les médias sociaux", constatent les chercheurs Qianyi Zhan, Sherry Emery, Philip Yu, Chongjun Wang et Yuan Liu.

Le programme de surveillance SORENTO

"Lorsque nous analysons le retour d'expérience des campagnes anti-vapotage, il est crucial de classer le public en différents groupes en fonction de leurs attitudes et de leurs affiliations. Dans cette perspective, nous proposons dans cet article de poser le problème de la "Détection de la Communauté sur l'Audience des Campagnes Anti-vapotage" [“Community Detection on Anti-vaping Campaign Audience”] (CODEVAN), et pour le résoudre de concevoir l'algorithme  de "détection de communauté basée sur SOcial, REpost et RelatiOn de coNTenu [“community detection based on SOcial, REpost and coNTent RelatiOn”] (SORENTO)", exposent les spécialistes en ingénierie informatique. 

Leur article explique comment le programme de surveillance et d'analyse SORENTO calcule les "scores d'intimité" des utilisateurs en fonction de leurs relations sociales, des republications et des similitudes de contenu. Selon l'équipe sino-américaine, la détection par SORENTO démontre que "les messages critiques sont principalement postés par une même communauté provapotage".

332 activistes fichés

Les spécialistes de la surveillance précisent avoir identifié 332 activistes en faveur de la réduction des risques. Pour cela, ils ont fait éplucher les tweets autour de trois campagnes américaines anti-vapotage en 2015. Celle californienne de mars à juin "Still blowing smoke", celle de Chicago "Vaping truth" de décembre à février 2016, et celle nationale au long de l'année du Center Disease Control (CDC) "Tips for former smokers". Ils ne détaillent pas la liste des 332 opposants dans l'article, mais livrent tout de même les noms de quelques uns dans leurs graphiques. Clive Bates, spécialiste de santé publique de renommée mondiale, côtoie le compte d'A Billion Lives, du documentaire éponyme, l'actif VapingIT ou le compte de la regrettée Agent Ania (RIP)...

"Similaire à d'autres applications en réseau hétérogène, les algorithmes de détection de communauté prennent également d'autres caractéristiques en compte et utilisent la classification des sentiments pour améliorer la détection de la communauté et le classement de la communauté pour permettre une analyse approfondie des données des sentiments", expliquent les promoteurs de SORENTO. La logique de fichage de SORENTO n'est pas sans rappeler celle du vaste programme de surveillance comportementale expérimenté en grandeur nature en Chine sous le nom de "crédit social", auquel l'Obs du 12 juillet a consacré un dossier.

De SORENTO au "Crédit social"

"La Chine de Xi Jinping s’est engagée dans un ambitieux et inquiétant projet de contrôle social bâti sur les technologies de pointe. Objectif : surveiller et régir la vie de 1,4 milliard de Chinois pour instaurer un totalitarisme sophistiqué. Un “modèle” qui pourrait inspirer d’autres pays", explique Ursula Gauthier, journaliste en Chine durant six ans avant son expulsion. Par l'agrégation de données informatiques et du suivi par vidéo-surveillance, le programme du "crédit social" entend noter les individus selon leur degré de "fiabilité sociale".

Ursula Gautier, de l'Obs, sur BFM le 24 juillet à propos du programme crédit social en Chine

Fichage et soft-censure

Dans ce contexte, il est quelque peu inquiétant de voir une organisation comme l'IEEE publier un article d'une équipe chinoise et américaine ayant développé et utilisé un programme de fichage d'activistes pour leur seule opinion de politique de santé publique. Inquiétant d'une part sur les méthodes non seulement envisagées, mais visiblement déjà en pratique, par le réseau anti-réduction des risques autour de l'oligarque Michael Bloomberg et de l'establishment du bureau anti-tabac (FCTC) de l'OMS. A leur Sommet au Cap au printemps, plaçant le vapotage comme nouvelle cible prioritaire de la lutte anti-tabac, ils avaient fait expulser les délégués de Taïwan pour satisfaire la Chine.

Inquiétant également, les futures utilisations contre d'autres groupes sociaux de la technique de surveillance développée et mise au point contre les défenseurs du vapotage, sans réaction des groupes de défense des libertés civiques. Enfin, inquiétant dans les mesures à court terme prises par les propriétaires des réseaux sociaux, dont il est clair que les algorithmes peuvent restreindre de manière furtive la diffusion des messages de comptes black-listés, comme le reconnaissait Facebook cette semaine dans un article de Libération. L'opposition à la liberté des fumeurs de préférer le vapotage a décidément de plus en plus un sale goût de dystopie orwellienne.

Sur le financement du programme SORENTO - MàJ 28-07-2018

L'article publiée dans la revue de l'IEEE spécifie avoir reçu des financements du Fundamental Research Funds for the Central Universities de Chine, à travers deux subventions JUSRP11852 et NSFC 61672264. Ainsi que de la National Science Foundation américaine à travers quatre programmes de subventions référencés IIS-1526499, IIS-1763325, CNS-1626432 et NSFC 61672313. L'IIS-1526499 pour 499'999 $ et le CNS-1626432 pour 599'536 $ sont financés par l'Université de l'Illinois Chicago. Je n'ai pas réussi à retracer les deux autres, sans avoir pu y consacrer suffisamment de temps.... Enfin, les auteurs ont aussi bénéficié des bourses du National Key Research and Development Program of China, No. 2016YFB1001102 et NSFC 61502227. A creuser peut-être...



Commentaires

  1. Ahurissant! Merci de l'avoir signalé. De nombreuses questions restent posées comme qui a pris l'initiative de cette recherche? qui l'a payé? combien? à qui cela va-t-il servir? qui est sur la liste?
    il va falloir fournir des réponses.

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    1. Pour qui a financé, il y a des indications dans l'article: le Fond de recherche fondamental universitaire de Chine, à travers deux subventions JUSRP11852 et NSFC 61672264 ; la National Science Foundation à travers quatre programmes de subventions IIS-1526499, IIS-1763325, CNS-1626432,
      et NSFC 61672313 - deux sont financés par l'Université de l'Illinois Chaicago, les deux autres j'ai pas réussi à retracer (mais j'ai pas insisté...). Enfin les bourses du National Key Research and Development Program of China, No. 2016YFB1001102 et NSFC 61502227.
      Je vais ajouté cette info, bien que ce soit à creuser...
      Le soutien effectif au projet de société d'ultra-contrôle à la chinoise de l'Université de Chicago par financement et recherche me parait inquiétant...

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