Près des deux tiers des vapoteurs réduisent fortement leur dépendance par rapport aux fumeurs


Deux chercheurs de Pittsburgh (USA) ont comparé les niveaux de dépendance entre les vapoteurs et les fumeurs aux Etats-Unis entre 2013 et 2016. « Parmi les utilisateurs actuels, la dépendance à l’égard du vapotage est nettement inférieure à la dépendance à l’égard des cigarettes », concluent le Pr Saul Shiffman, de l'Université de Pittsburgh, et Mark Sembower dans ce numéro d’octobre de la revue Addiction. Ils ont mesuré les scores à une série de 16 questions établies pour évaluer la dépendance à des produits nicotiniques. Les résultats, sur une échelle de 5 points, de plus de 13 000 répondants des trois enquêtes américaines Population Assessment on Tobacco and Health (PATH) de 2013 à 2016 ont été analysés selon les produits consommés.

8 % des vapoteurs sont très dépendants contre 48 % des fumeurs

Sur une échelle de 5 points, les vapoteurs exclusifs au quotidien présentent en moyenne des scores de 2,22 pts tandis que les fumeurs exclusifs au quotidien marquent 2,81 pts. Par contre, les vapoteurs exclusifs occasionnels, avec de 1,56 pts, ne présente pas d'écart significatif par rapport au score de 1,64 pts des fumeurs exclusifs occasionnels.

« Ces différences moyennes présentent de grandes différences dans la distribution des scores. Alors que 48 % des scores pour le tabagisme étaient supérieurs à 3 pts, le niveau médian de l’échelle, cela n’était vrai que pour 8 % des scores du vapotage. La majorité des scores de dépendance à l’e‐cigarette (64 %) étaient de 1,5 pts ou moins, ce qui suggère une absence de symptômes de dépendance, un niveau observé dans moins de 13 % des scores de dépendance à la cigarette », expliquent les auteurs. 

En résumé, la plupart des vapoteurs exclusifs sont nettement moins dépendants que les fumeurs, même si une minorité de vapoteurs (8 %) a des scores élevés. Entre deux, 28 % des vapoteurs présentent des signes de dépendance marquée. Les deux chercheurs soulignent que les vapoteurs, ayant arrêté de fumer depuis moins d’un an, ont montré une dépendance plus élevée à l’égard du vapotage.

Une comparaison entre vapoteurs ex-fumeurs et fumeurs

Il est à noter que l'étude ne rend pas compte de la dépendance générée par le vapotage ou la cigarette chez des personnes n’ayant pas eu de consommation préalable (chez des jeunes notamment). On sait, avec un recul de 40 ans, qu’une part des ex-fumeurs continuent d’utiliser les substituts nicotiniques, comme les gommes, à long terme et de présenter des signes de dépendance à ceux-ci. Mais le nombre de personnes sans passé tabagique devenues dépendantes aux substituts nicotiniques est quasiment nul. 

L’écart du niveau de dépendance des usagers entre les deux produits se confirme chez les « double-utilisateurs », qui fument et vapotent, dans l'étude américaine. Leurs signes de dépendance sont significativement plus marqués envers la cigarette qu’envers le vapotage. De même chez les anciens utilisateurs, qui ont arrêté de fumer et/ou de vapoter au cours de l’année précédente, la persistance de signaux de dépendance est plus forte chez les anciens fumeurs que les ex-vapoteurs.

L’addictivité du tabac ne s’explique pas seulement par la nicotine

En filigrane, ces résultats confirment ce que l’on constate depuis l’émergence des substituts nicotiniques il y a 40 ans. Tous les produits nicotinés n'ont pas la même puissance dépendogène. La nicotine est impliquée dans l’extrême addictivité du tabac, mais ne l’explique pas à elle seule. La fumée de cigarette est un cocktail de milliers de substances où la nicotine côtoie d’autres alcaloïdes, tels que l’anabasine, l'anatabine, la myosmine, la théobromine (provenant du cacao), etc. Ainsi que des furanes, ayant des effets anti-dépressseurs (par inhibition des monoamines oxydases (IMAO). 

" En dépit de l'évidence des propriétés dépendogènes du tabac, il n'existe pas d'abus de nicotine pure (West et al. 2000), les substituts nicotiniques ne sont que modérément efficaces (Hajek et al. 1999), et les cigarettes dénicotinisées sont plus satisfaisantes et gratifiantes que la nicotine reçue par voie intraveineuse (Rose, 2006; Rose et coll. 2000). Dans les études sur des humains et des rongeurs d’auto-administration en intraveineuse (i.v.), la nicotine présente un profil d’administration beaucoup moins robuste que d’autres drogues d’abus comme la cocaïne ou l’héroïne, et a donc été considérée comme un renforceur relativement faible (Manzardo et al. 2002; Stolerman & Jarvis, 1995). Ces résultats vont à l’encontre du taux élevé de consommation de tabac chez les humains et ont amené certains chercheurs à suggérer que d’autres facteurs autres que la nicotine facilitent la dépendance au tabac (Dar & Frenk, 2004; Rose, 2006) ". Extrait de l'article de Kelly J. Clemens, Stephanie Caillé, Luis Stinus, Martine Cador : The addition of five minor tobacco alkaloids increases nicotine-induced hyperactivity, sensitization and intravenous self-administration in rats ; International Journal of Neuropsychopharmacology (12:10), November 2009.  https://doi.org/10.1017/S1461145709000273.

À l’image des substituts nicotiniques pharmaceutiques, le vapotage contient de la nicotine, sans les autres substances du tabac. La nicotine, généralement extraite du tabac pour des raisons de coût, est purifiée. De la nicotine de synthèse existe aussi, mais elle est peu répandue sur le marché. Un des aspects où le vapotage se distingue des substituts nicotiniques pharmaceutiques est la vitesse d’absorption de la nicotine, plus rapide par la voie pulmonaire que par la peau ou les muqueuses buccales.  

Au-delà de la peur de la dépendance

C'est un constat fréquent: beaucoup de personnes s'apprêtant à arrêter de fumer s’inquiètent du risque de dépendance du vapotage. En soi la dépendance elle-même n’est pas un problème de santé. Ce sont les effets de la consommation de produits nocifs qui produisent des problèmes de santé. Or la nicotine en elle-même a un profil toxicologique similaire à la caféine. D’où l’importance cruciale du point de vue sanitaire de son mode de consommation, comme l'explique le Pr Karl Fagerström

Mais la peur de la nicotine d'une large partie du public existe. Le sondage SOVAPE-BVA publié récemment révèle la désinformation à ce propos chez les 3/4 des Français. Une peur probablement entretenue par les messages anxiogènes centrés sur « l’addictivité de la nicotine ». Ils sont trompeurs à plusieurs titres. En cachant les véritables risques liés au tabagisme : les toxiques produits par la combustion tels que le monoxyde de carbone et les goudrons notamment.

« Amener les gens à la nicotine à la place de consommer du tabac ferait une grande différence pour la santé publique. Il est clair qu’il y a des problèmes d'avoir des gens dépendants à la nicotine, mais cela nous ferait passer du problème de santé publique grave et coûteux des maladies liées au tabagisme, à celui de ne plus avoir à s'occuper que de la dépendance à une substance qui, en soi, n’est pas très différente de la dépendance à la caféine », Pr Shirley Cramer, directrice en 2015 de la Royal Society of Public Health (UK), lors du rapport Stopping smoking by using other sources of nicotine.

La perversion des intégristes

Enfin, les messages anti-nicotine tendent à faire passer la dépendance pour un problème de santé en soi. Ce qui est une manière d’habiller de sanitaire l'orientation morale et idéologique de l'abstinence. Nous sommes dépendants de beaucoup de choses sans que cela soit des problèmes sanitaires. 

La dérive actuelle de groupes de pression pour transformer la lutte anti-tabac en guerre contre tous les consommateurs de nicotine s’éloigne des motivations de santé publique : elle est une croisade moraliste, probablement non dénuée d’intérêts financiers pervers. Car la peur de la nicotine n’amène pas les fumeurs à renoncer à leur cigarette, elle les amène principalement à renoncer à essayer des alternatives nicotiniques, substituts ou vapotage, qui les aident à s’en sortir. Jusqu’ici le choix étroit de « l’abstinence ou la mort » s’accompagne chaque année de sept millions de morts de maladies liées au fait de fumer. Il est temps de s’y prendre autrement.


Commentaires

  1. Dans toutes les études sur le sujet la nicotine est toujours mise en avant comme la molécule la plus addictive de la cigarette fumée, cependant les grands oubliés beaucoup plus addictifs sont le sucre et l’ammoniaque, ajoutés au tabac et qui sont beaucoup plus addictifs et résiduels lorsqu'ils sont brulés.
    Pourquoi n'en parle t-on jamais ?

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