Philip Morris renonce à son usine Iqos de Dresde: symptôme d'une erreur de stratégie ?
Philip Morris a confirmé l'information dénichée par Sächsische Zeitung (SZ). Il renonce, au moins pour le moment, à son projet de nouvelle usine à Dresde. L'inauguration était prévue au premier semestre 2019 à deux pas de l'aéroport. Elle devait produire 30 milliards de cigarettes pour Iqos par an avec 500 employés sur 80'000 m². L'investissement à terme devait être de 275 million €. Dirk Hilbert, maire de Dresde, a même inauguré en juin une nouvelle station électrique d'un coût de 11 millions € spécialement pour alimenter la zone industrielle de la future usine. Laconique, Iris Brand, porte-parole du cigarettier, indique que le groupe doit évaluer ses centres de production existants, à la radio locale MDR Sachsen. Des usines de cigarettes Iqos fonctionnent déjà notamment en Suisse, Grèce, Roumanie et en Italie, où sa capacité de production est le triple de celle envisagée à Dresde, précise le journal de Saxe SZ.
0,1% du marché allemand
En réaction, Reemtsma, la filiale allemande d'Imperial Tobacco, a ironisé sur l'explication "lapidaire" de Philip Morris. De son coté, Jan Mücke, directeur de l'association allemande des cigarettiers (DZV), dont Philip Morris ne fait plus partie depuis plus de dix ans, souligne "le succès assez limité" de l'Iqos. Dans son rapport 'New World of Tobacco – JUUL Starting to Disrupt U.S. Cigarette Industry' en avril dernier, Citigroup signale qu'en Allemagne "iQos atteint seulement 10 basics points (bps) [soit 0,1%] du marché national au quatrième trimestre 2017". En se limitant aux grandes villes allemandes, l'Iqos atteint 80 bps, soit 0,8%, du marché. Très faible en regard des campagnes de publicité du cigarettier vaudois et l'ouverture d'Iqos Stores en Allemagne.
Erreur de stratégie ?
Il y a une année, Stacey Kennedy, directeur de Philip Morris Allemagne, annonçait la nouvelle usine de Dresde comme "un jalon important sur la voie d'un avenir sans fumée". Aujourd'hui, la bourse américaine a perdue confiance dans les valeurs cigarettières devant le succès du vapotage, et l'abandon de la nouvelle unité de production du cigarettier vaudois soumet à la question sa stratégie. Doute sur son choix de privilégier un produit phare de tabac chauffé, à contre-courant de l'engouement pour le vapotage et sa diversité. Depuis son lancement en 2015, l'Iqos n'a percé qu'au Japon, pays qui interdit la vente de vapotage nicotiné.
Doute aussi sur la conception médiocre du point de vue de la réduction des risques de l'Iqos avec une température trop élevée pour éviter toute combustion. Alors que la combustion de la cellulose s'initie à partir de 236°C, l'Iqos monte à près de 350°C, engendrant une pyrolyse qui produit tous les toxiques d'une cigarette conventionnelle. Cependant, les carbonylés et les composés organiques volatiles (COV) sont réduits d'au moins 80% par rapport à une cigarette fumée standard, selon les premiers résultats des études de l'Institut fédéral allemand sur les risques (BfR).
Batailles cigarettières
La nouvelle de l'ajournement de l'usine de Dresde tombe dans un contexte de vive bataille entre cigarettiers en Allemagne. Les ventes sont passées de 145 milliards de cigarettes en 2002 à près de 76 milliards en 2017. Philip Morris reste leader avec 37% du marché devant Reemtsma qui détient 24% du marché, BAT 19% et Japan Tobacco 6%. Ce dernier fait une campagne de publicité pour dénigrer les nouveaux produits électriques sous la bannière de sa marque de cigarettes American Spirit. Cette campagne tente aussi de freiner l'essor du vapotage, dont le marché est passé entre 2010 et 2016 de 5 millions à plus de 375 millions €, selon les données de la VDEH association professionnelle du vapotage.
Poor lonesome cowboy ?
Dans ce contexte de restructuration, l'idée de créer une nouvelle organisation faîtière visant à regrouper tous les cigarettiers, y compris Philip Morris, mais aussi des producteurs de vapotage indépendants fait son chemin, nous apprend eGarage, site allemand spécialisé sur le vapotage et la réduction des risques. "Les fabricants de vapotage qui ne proviennent pas de l'industrie du tabac sont aussi très sollicités", précise le site bien informé.
Bien que cowboy solitaire en Allemagne et malmené par la bourse américaine, Philip Morris reste une multinationale encore prospère. Ses comptes trimestriels, publiés le 19 juillet, affichent 7,72 milliards $ de revenus nets et 3,1 milliards $ de bénéfices nets sur le second trimestre 2018, une progression de l'ordre de 12 à 13% par rapport à la même période en 2017.
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