Consultation biaisée sur la politique antitabac de l’UE : suite de la plainte à la Commission

Consultation biaisée sur la politique antitabac de l’UE : suite de la plainte à la Commission

Voici ma seconde lettre de plainte à la Commission européenne concernant la consultation publique biaisée sur la politique antitabac de l’Union européenne. Cette consultation s’est déroulée au printemps dernier. Bien qu’ils ne soient pas encore rendus publics, ses résultats servent de base actuellement à un cabinet mandaté par la Commission pour préparer un rapport sur le bilan des directives sur les produits du tabac (TPD) et sur la publicité de ces produits (TAD). Des médias ont fait part de fuites sur le premier brouillon de ce rapport, notamment en français le Vaping Post.

Fin juin, j'avais envoyé une lettre de plainte à la Commission concernant les évidents biais et lacunes du questionnaire, dont j'avais posté sur ce blog la traduction. J'ai depuis reçu une réponse d'un cadre de la Commission. Sa réponse me parait extrêmement décevante et illustre le problème de fond que j'ai soulevé. J'ai donc de nouveau écrit à la Commission en m'adressant à ce responsable en septembre. Ma lettre originale est en anglais. Je n'ai pas reçu de réponse pour le moment.

***

Cher M. Xxxxx Xxxxxxx, Head of Unit responsible for the tobacco control policy in European Commission,

Je vous remercie de votre réponse du 18 juillet 2023 à ma plainte du 22 juin. Cependant, elle ne donne aucune réponse à ma demande principale de corriger les biais de la Consultation publique sur l'évaluation du cadre législatif de l'Union européenne pour le contrôle du tabac, par un complément ou un nouveau questionnaire. Elle ne répond pas non plus à ma demande d’une enquête interne des services de la Commission pour évaluer et éviter de nouveau abus sur le sujet. Aucune clarification ne m’a été proposé sur les suites de ma plainte. J’espère des réponses précises, tel qu’un État de droit pourrait proposer.

Cependant, votre réponse présente deux arguments étonnamment contradictoires. Votre premier argument affirme que « En ce qui concerne la formulation des questions, il est important de noter que toutes les questions du questionnaire de la consultation publique offraient une gamme complète d'options de réponse, par exemple de "tout à fait d'accord" à "pas du tout d'accord" ou de "pas du tout une menace" à "très une menace", garantissant ainsi sa neutralité et sa transparence. Cela a permis aux personnes interrogées d'exprimer leur point de vue sur l'un ou l'autre des sujets de manière claire et mesurable."

J’avais vu que le questionnaire proposait différentes cases à cocher. Cependant, ma plainte vise les implicites des formulations des questions, sur lesquels les répondants ne peuvent intervenir. Votre réponse n’est donc pas adéquate.

Votre second argument contredit l’impartialité et l’objectivité de la Commission en ce qu’il consiste à affirmer le dogme obscurantiste que « Il n'existe pas de niveaux sûrs de consommation (...) de nicotine ». Ce sujet devrait évidemment être l’objet d’un débat européen et non soumis à un dogme imposé religieusement.

Il y a de multiples exemples où la consommation de nicotine réduit les risques, et contredit ce dogme. Il est établi qu’un régime riche en nicotine réduit les risques d’être touché par la maladie de Parkinson, particulièrement pour les femmes (1). Il est bien établi que des produits nicotinés réduisent les risques pour les fumeurs qui les adoptent, ce qui vaut aux gommes et patchs nicotinés d’être en vente libre, y compris aux mineurs, dans toute l’UE et même hors monopole des pharmacies dans certains pays membres. Il est bien établi que la Suède compte moitié moins de maladies et décès liés au tabagisme que les autres pays de l’Union Européenne, parce que près de 20 % de la population suédoise utilise du snus au lieu de fumer des cigarettes. En réalité, la nicotine elle-même n’est pas source de maladie, c’est le mode de consommation sous forme de cigarettes fumées qui est violemment nocif (2).

Vous prêtez au SCHEER d’avoir affirmé que « l'avis du comité scientifique de la santé, de l'environnement et des risques émergents (SCHEER) sur les effets des e-cigarettes sur la santé a mis en évidence le rôle qu'elles jouent dans l'initiation des jeunes au tabac et qui pourrait, au niveau sociétal, dépasser les avantages qu'elles procurent en matière de sevrage tabagique au niveau individuel ».

En science, le niveau de risque individuel d’une consommation et la dimension épidémiologique de la consommation en population sont deux aspects distincts. Votre phrase n’a aucun sens et, selon ce que je me souviens de la lecture du rapport du SCHEER, je doute qu’il affirme cela. Quoiqu’il en soit, le SCHEER précise clairement qu’il a eut mandat de ne pas évaluer la réduction des risques du vapotage par rapport au tabagisme. Son opinion n’est donc d’aucune aide sur ce sujet. Le Plan Cancer (BECA), et plus récemment la Commission ENVI, ont d’ailleurs réclamé des évaluations de la réduction des risques grâce au vapotage par rapport au tabagisme, que ni la Commission, ni le SCHEER n’ont fourni jusque-là.

Votre lettre démontre le caractère dogmatique de l’a priori anti-réduction des risques qui vous anime. En tant que personne, vous avez évidemment cette liberté de croyance. Mais en tant qu’institution européenne, la commission doit respecter le code du « better regulation ». Imposer des dogmes obscurantistes en est contraire. Elle devrait à l’inverse permettre le débat afin que les décisions les plus propices à la population européenne puissent émerger. L’enquête dont je me plains ne le permet pas en raison notamment du cadre régressif des dogmes que vous répétez dans votre lettre.

Le bureau de l’Ombudsman [médiatrice européenne] m’a incité à laisser une chance à la Commission de résoudre le problème par elle-même. En ce sens, je rappellerais brièvement des raisons qui devraient amener la commission à réviser son attitude et remettre en cause son dogmatisme :

  • Le tabagisme est la principale cause de maladies et de mortalité prématurée dans l’UE, seuls les pays laissant une place à la réduction des risques ont réduit de manière forte et pérennes le tabagisme : les pays scandinaves, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni notamment.
  • Les pays les plus hostiles à la réduction des risques au sein de l’OMS sont les principaux producteurs de tabac. Il est aberrant que l’UE s’aligne sur les positions de l’Inde, la Thaïlande ou le Brésil en prétendant que ce soit pour la lutte antitabac. Le fait que l’oligarque Bloomberg finance des organisations alors qu’il est en relation d’affaire avec ces grands pays producteurs de tabac, devrait disqualifier ces organisations pour conflit d’intérêts. Le texte de la CCLAT inclut dans ses principes fondamentaux la réduction des risques. L’UE ne devrait pas soutenir les positions des producteurs de tabac qui veulent exclure ce principe. L’UE devrait au contraire se présenter comme une force exemplaire d’avant-garde en le mettant en pratique.
  • L’intérêt économique de pays membres de l’UE, deux principalement*, à maintenir leur industrie de transformation du tabac en cigarettes devrait être prise en charge par la Commission pour leur proposer un plan de transition. L’intérêt de la population européenne dans son ensemble, y compris des 37 % de fumeurs allemands, est d’offrir des moyens de réduction des risques à ces personnes qui vont perdre en moyenne dix ans de vie.

Le rôle de la Commission n’est pas d’imposer un dogme, ni de faire taire les défenseurs de la réduction des risques. Elle devrait se concentrer sur sa mission de créer les conditions les plus favorables à une prise de décision judicieuse pour la population européenne.

Je me plains que la Consultation publique sur l'évaluation du cadre législatif de l'Union européenne pour le contrôle du tabac n’a pas respecté ce cadre favorable à une Better Regulation. J’attends des réponses précises sur la suite de cette procédure. Et j’espère que la Commission daigne sortir de son attitude stérile.

Veuillez agréer de mes salutations cordiales.

Le 19 septembre 2023, Poirson Philippe

* Ces deux pays sont l'Allemagne et la Pologne, deuxième et troisième producteurs mondiaux de cigarettes, ayant été récemment dépassés par les Emirats arabes unis où des usines de cigarettes se sont implantées, alors que des usines en Suisse dont la production était essentiellement destinée au Moyen-Orient ont fermées. (Note pour les lecteurs de Vapolitique, non inclue dans la lettre à la Commission).

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