Une étude trace le profil de vapoteurs au long cours sur plus de huit ans
Initié en 2012, un suivi a fait le point sur des vapoteurs au long cours en 2021. L’étude, publiée dans la revue Addictive Behaviors, est la première à présenter des données sur l’évolution du comportement de vapoteurs sur plus de huit ans en moyenne. Ce suivi mené par le Pr Jean-François Etter, de l’Université de Genève, montre notamment que 89 % de ces vapoteurs à long terme ne fumaient plus du tout en 2021. Cette étude est publiée alors que le chercheur en santé publique vient de prendre sa retraite.
Le Pr Jean-François Etter, alors directeur de Stop-Tabac.ch, a initié un suivi de vapoteurs en 2012, au début de l’essor du moyen de réduction des risques. Ce suivi, dont le recrutement a perduré jusqu’en 2016, a recueilli initialement 3105 réponses à un questionnaire détaillé, dont 2763 déclaraient alors vapoter au quotidien ou occasionnellement. Recontactés en 2021, 1141 d’entre eux ont répondu, dont un tiers avaient cessé de vapoter. Cible de cette étude, 375 des répondants vapotaient à la fois au 1er suivi et en 2021, définis comme utilisateurs continus.
Comparés à la base des 2388 vapoteurs initiaux, ces 375 vapoteurs au long cours, âgés en moyenne de 45 ans au 1er suivi, sont plus vieux de quatre ans que les autres vapoteurs, ils vapotaient plus fréquemment au quotidien qu'occasionnellement. Ils se montrent aussi plus susceptibles de mixer leurs propres e-liquides et de consommer de plus grand volume. Ils sont à 68 % des hommes et 55 % d'entre eux ont choisi le questionnaire en français, pour 45 % en anglais. Au questionnaire initial, près de 38 % déclaraient souffrir de symptômes dépressifs, 52 % avaient bu de l'alcool et 20 % ont consommé du cannabis au cours du mois précédent.
Trois fois moins de fumeurs au fil du temps chez les vapoteurs au long cours
Tandis que 33 % des 375 répondants avaient déclaré avoir fumé le mois précédent le premier questionnaire entre 2012 et 2016, ils n’étaient plus que 11 % en 2021. Seuls 4 % vapotent et fument au quotidien. En conséquence, les motivations de ces vapoteurs au long cours ont évolué. Une proportion évidemment moins importante vapote pour faire face aux envies de cigarettes (de 86 % au 1er suivi à 72 % en 2021) ou aux symptômes de sevrage tabagique (de 87 % au 1er suivi à 63 % en 2021).
En somme, une bonne part semble avoir mis définitivement leur tabagisme aux oubliettes, d'autant plus que 97 % estiment que vapoter est moins toxique que fumer. L'étude ne précise malheureusement pas le ressenti des vapoteurs, quasiment tous ex-fumeurs, en terme d'évolution des effets sur la santé de leur usage au fil du temps.
Une culture de résistance au système tabagique
Une conséquence de cette libération est qu’ils sont moins nombreux à craindre une rechute tabagique en cas de prohibition totale ou d’interdiction des arômes de vape. « Si les e-cigs, les e-liquides ou certains arômes étaient interdits ou interdits, moins d’utilisateurs continus déclarent qu’ils recommenceraient à fumer en 2021 (33 %) qu’au départ (49 %), et environ un quart des participants aux deux enquêtes ont déclaré qu’ils fumeraient davantage de tabac (aucun changement dans le temps) », détaille le chercheur de l’Université de Genève. En cas d’interdiction, l’extrême majorité (91 %) déclare qu’ils continueraient de vapoter « à peu près comme maintenant ».
Sans que ce soit écrit texto dans l’étude, ces « vieux » vapoteurs donnent l’impression d’avoir compris qu’ils continueraient de subir le harcèlement des autorités contre leur arrêt tabagique et, pour l’essentiel, ils se sentent prêts à passer à la clandestinité pour rester hors tabac. « La plupart des participants (84 à 89 % dans les deux enquêtes) ont déclaré qu’ils produiraient leurs propres e-liquides (c’est-à-dire faits maison) ou les obtiendraient sur le marché noir si certains e-liquides ou arômes étaient interdits. Moins de la moitié des utilisateurs réguliers (43 à 44 %, aucun changement au fil du temps) ont déclaré qu’ils stockaient actuellement du matériel pour cigarettes électroniques et des e-liquides au cas où ces produits seraient interdits à l’avenir », résume l’étude.
Une réduction de la dépendance au vapotage
Initialement induite par leur addiction tabagique, une forme de dépendance au vapotage nicotiné persiste chez les « forts » utilisateurs, à l’image de ce groupe de vapoteurs continus au long cours. On rappellera que la dépendance se distingue de l’addiction par l’absence de méfaits de santé ou sociaux de la consommation. On parlera d’addiction au crack, mais de dépendance à la caféine par exemple. La confusion entretenue entre les deux termes par certains groupes de pression, généralement pour des raisons de course aux subventions, est extrêmement préjudiciable au public, comme l’illustrent les sondages BVA-Sovape et l’étude de l’Institut National du Cancer (INCa).
Dans le suivi mené par le Pr Jean-François Etter, la dépendance au vapotage des utilisateurs continus a en moyenne diminué dans le temps. Entre le 1er et le 2e suivis, leur score de dépendance moyen est passé de 75 à 60 sur 100, tandis que « la fréquence et la force des envies de vapoter (telles que mesurées par le MPSS) ont toutes deux diminué considérablement au fil du temps », précise le Pr Jean-François Etter. En 2021, 35 % estiment même qu’ils pourraient arrêter de vapoter, alors qu’ils étaient 21 % au 1er suivi (entre 2012 et 2016).
Près de 80 % des vapoteurs continus au long cours estiment que leur dépendance actuelle au vapotage est de moindre force que leur ancienne addiction aux cigarettes, mais 3 % estiment à l'inverse qu'elle est plus forte. Ce suivi mériterait d'être complété par d'autres enquêtes, mais ses résultats semblent indiquer que le vapotage au long cours ne génère pas d'augmentation de la dépendance nicotinique.
De fort volume d'e-liquide moins concentré en nicotine
Au niveau des habitudes d’usage, les vapoteurs au long cours sont très nombreux (76 % en 2021, contre 46 % au 1er suivi) à utiliser le mixage des e-liquides, achetant des « shortfills » de 50 ml en moyenne. Les restrictions antivapes (taxes, interdiction de certains arômes, limitation à 10 ml des e-liquide nicotinés dans l’UE) dans certains pays alimentent probablement cette tendance. En conséquence, la concentration en nicotine des e-liquides utilisés par les vapoteurs au long cours du suivi a diminué de moitié, passant de 12 mg à 6 mg/ml au fil du temps, et, évidemment, leur consommation en volume est élevée.
La vape s'échappe du goût tabagique
Cependant, 18 % des vapoteurs de ce groupe utilisent un e-liquide à l'arôme tabac en 2021, contre 31 % au départ. Cette proportion est sensiblement plus élevée que dans des enquêtes ouvertes récemment. Comme celle de Merci la vape où moins de 12 % des vapoteurs utilisent l'arôme tabagique, dont plus de la moitié utilisent d'autres arômes également (et donc moins de 5 % des vapoteurs n'utilisent que l'arôme tabac). À l'inverse la proportion d'amateurs d'e-liquides de goûts fruités ne concerne qu'un quart des vapoteurs de longue date du suivi mené par le Pr Jean-François Etter, alors que près des 3/4 des répondants à l'enquête Merci la vape déclarent en utiliser.
Une étude publiée au moment de la retraite du Pr Jean-François Etter
Le Pr Jean-François Etter signe avec cette nouvelle publication sur le vapotage le premier suivi d’une durée de plus de huit ans de vapoteurs continus au long cours. Alors qu’il a délivré sa leçon d’adieu début octobre à l’Université de Genève, marquant son départ à la retraite, les contributions du chercheur en santé publique constituent un apport majeur dans le domaine de la compréhension du tabagisme et de l’arrêt tabagique.
En particulier, il est un des rares chercheurs francophones à avoir exploré avec une extrême rigueur et une grande honnêteté le sujet de la réduction des risques face au tabagisme. Cette étude vient clore le suivi d’usagers de vape qu’il avait entamé en 2012. On lui souhaite une agréable et douce retraite, même si ce départ laisse l’inquiétante impression d'un quasi désert en termes de compétence et d’intelligence sur le sujet en Suisse et en France.
Références :
- Jean-François Etter : "An 8-year longitudinal study of long-term, continuous users of electronic cigarettes", Addictive Behaviors, Volume 149, 2024, https://doi.org/10.1016/j.addbeh.2023.107891
- Sondage BVA-Sovape 2023 https://www.sovape.fr/bva-2023-vapotage-nicotine-epidemie-doute/
- Baromètre Cancer 2021, Institut Nationale du Cancer (INCa) et Santé publique France (SPF) https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/545789/3958336?version=1
- Première synthèse de l’enquête MERCI LA VAPE avec 40 000 réponses : https://www.sovape.fr/synthese-enquete-merci-la-vape-alerte-sanitaire/
- Jacques Le Houezec : pharmacologie de la nicotine, Revue médicale Suisse https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2003/revue-medicale-suisse-2452/pharmacologie-de-la-nicotine-et-dependance-au-tabac
Edit 17/11/2023 à 20h : ajout de la référence à la Synthèse de l'enquête Merci la vape que j'avais oublié (:oops:)
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