Interview: le SOS des vapoteurs face au blocus du Monopole du tabac en Tunisie

Entrevue, travaux et remise de cahiers des charges. Les premiers mois de l'année semblaient promettre une sortie de crise pour le vapotage en Tunisie. Puis le silence, la rupture de dialogue sans explication. Khaled Haddad, président de l'Association de la Cigarette Electronique pour Arrêter de Fumer (ACEAF) a remis le 8 février dernier un rapport pour sortir de l'impasse à M. Sami Ben Jannet, directeur général de la Régie Nationale du Tabac et des Allumettes (RNTA). Mais depuis la RNTA fait la sourde oreille.

Détentrice du monopole sur l'importation et la distribution du vapotage depuis un arrêté ministériel de 2014, la régie n'importe rien, ne distribue rien et ne met aucun produit de vapotage sur le marché en Tunisie. La vape est légale, mais aucun produit n'est à disposition légalement. Les boutiques de vape sont de facto dans l'illégalité. Les douanes ont fait une série de rafles avec saisies et fermetures en 2017 et en début d'année. "Il n'y a plus de produit disponible", nous rapportait en janvier Ryad, un vapoteur de Sousse. Certains vapoteurs se sont remis à fumer, déplorait l'automne passé le site tunisien Webdo. Mais le mouvement de sortie du tabagisme par le vapotage croît en dépit de la répression. L'association ACEAF estime qu'il y a à présent près de 80'000 vapoteurs tunisiens, avec des pages dédiées sur Facebook approchant les 100'000 membres.

Aujourd'hui, Khaled Haddad de l'ACEAF lance avec cet interview un appel à l'aide pour sortir de cette situation absurde. Nouveau membre d'INNCO, le réseau international des organisation d'usagers de produits nicotinés à risque réduit, qui vient d'être autorisé par l'ONU à participer aux rencontres de haut-niveau sur les maladies non transmissibles (MNT), l'ACEAF espère attirer l'attention au-delà des frontières tunisiennes pour que ses autorités nationales prennent enfin en considération le vapotage et ses utilisateurs.

Bonjour, pouvez-vous présenter en quelques phrases l'association ACEAF ?

Khaled Haddad: Notre association est jeune, nous l'avons créé en octobre 2016. Un de ses objectifs est d'inciter des fumeurs à arrêter le tabac conventionnel en recourant à la cigarette électronique, qui est considérée comme un moyen de sevrage tabagique efficace.

Notre premier soucis est de légitimer la vente de la cigarette électronique en Tunisie, étant donné que la régie nationale du tabac (RNTA) fait obstacle à sa mise à disposition du consommateur. La RNTA détient le monopole sur l'importation et la vente sans pour autant mettre de produits sur le marché. Notre cheval de bataille est la légalisation de la vente et l’organisation du secteur et son développement.

En Tunisie, les produits de vapotage sont légaux mais pourtant, j’ai vu de nombreux usagers se plaindre de ne pas avoir accès facilement à des produits. Quel est le problème à l’origine de ce mécontentement ?

K.H.: Oui effectivement, les produits de vapotage sont légaux en Tunisie. Mais leur importation ainsi que leur vente restent néanmoins interdites en Tunisie parce qu'ils sont sous le monopole de l’Etat. Or celui-ci n'en importe pas, ni n'en vend ! C’est pour cela que les consommateurs se plaignent de ne pas avoir accès aux produits. Chose qui a permis à un marché parallèle non contrôlé de fleurir. Il y a des risques de contrefaçons et de liquides non conformes aux normes, qui pourraient nuire à la santé du consommateur.

En janvier dernier, votre association a eu une entrevue avec M. Sami Ben Jannet, le directeur général de la Régie Nationale du Tabac et des Allumettes (RNTA). Sur quoi a débouché ce rendez-vous ?

K.H.: Cette rencontre tant attendue a débouché après de longs pourparlers sur une entente entre la RNTA et l’association ACEAF concernant l’établissement par nos soins d’un cahier de charge. Celui-ci devait permettre de définir les moyens de gestion de l’activité de ce secteur, tout en préservant la qualité tant au niveau des produits que de ses moyens afin de préserver la santé du consommateur. Sachant que l’ACEAF regroupe en son sein des compétences humaines de médecin, pharmacien, laborantin et professionnel de la vape, qui permettent d'envisager la gestion de ce secteur dans les meilleures conditions.

Vous avez donc remis au directeur de la RNTA un dossier pour sortir de l’impasse actuelle. Dans les grandes lignes quelle était votre proposition ?

K.H.: Nous avons proposé un cahier de charge pour régir l’importation, prenant en compte la quantité, la qualité, les questions d'hygiène, de conditions de stockage, d'homologation (CE), de contrôle et les compétences pour le domaine. Et nous avons aussi établi un cahier de charge concernant la distribution.

Depuis la remise de ces cahiers des charges le 8 février, quelle a été la réaction de la RNTA ?

K.H.: Une stagnation complète du projet ! Malgré des rappels incessants. Cette situation a des répercussions négatives sur les professionnels du secteur et les consommateurs. Il y a des descentes de police avec saisies et fermetures de magasins. Plusieurs familles se sont retrouvées à la rue. Ce blocage entraîne la destruction d’emplois créés et favorise l’émergence d’un secteur parallèle hors contrôle. Et pendant ce temps le tabagisme continue à faire ses ravages.

Vous n’avez plus aucun contact avec la RNTA !? Vous avez une idée des raisons de ce silence ?

K.H.: Non plus de contact depuis la remise du cahier de charge. Sans aucune raison. Mais probablement à cause de la pression du lobby du tabac ainsi que la mauvaise foi de l’Etat.

Quelles possibilités s’offrent à votre association pour débloquer cette situation décevante ?

K.H.: A part le soutien de gens comme vous dévoué à la cause, nous avons épuisé les solutions à l’échelle nationale. Maintenant, nous espérons médiatiser notre cause à l’échelle internationale afin de créer une pression suffisante pour faire plier les preneurs de décision en Tunisie.

Pour comprendre les enjeux humains, quelle est l’ampleur du tabagisme en Tunisie ?

K.H.: Le tabagisme en Tunisie tue, directement ou indirectement, 40 personnes par jour, selon le principal responsable du programme national anti-tabac. Le pourcentage des fumeurs en Tunisie est de 23.5% de la population actuelle, selon les statistiques officielles de 2016. Il est a signaler que 20 % des adolescents à partir de 11 ans sont fumeurs.

J’ai vu des images de rencontres sur le vapotage où il avait pas mal de gens. Le vapotage est une alternative qui intéresse les fumeurs tunisiens ?

K.H.: Oui bien sûr et ce grâce aux efforts fournis par l’association, ainsi que ses généreux donateurs (Zazo-Vape, Vape Store El Ghazela et Smooky), malgré les difficultés que ces derniers rencontrent, et qui ne sont malheureusement pas plus nombreux.

Voulez-vous ajouter quelque chose… ?

K.H.: Nous subissons en tant qu’association des pressions de plus en plus fortes de la part de la communauté tunisienne de la vape. Nous comptons sur votre soutien ainsi que la communauté internationale afin de débloquer cette situation décevante pour nous ainsi que pour tous les vapoteurs.



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