Seize spécialistes comparent le rapport anti-vape du HCSP au raisonnement anti-vax dans le Monde

Haut-Conseil de la Santé Publique HCSP

Face à un danger certain, la précaution est-elle d’écarter un moyen d’en réduire les risques au prétexte d’une part congrue d’incertitude le concernant ? Le principe de précaution dans son interprétation absolutiste aboutirait à sauter d’un avion en flamme sans parachute en raison de l’absence d’étude clinique sur celui-ci. Heureusement, la plupart des gens ne font pas ça. 

D’ailleurs, les autorités sanitaires Françaises n’ont pas suivi ce principe de précaution absolu face à l’épidémie de Covid, remarquent seize figures médicales signataires (liste en fin de billet) d’une tribune publiée dans le Monde ce 3 mars. Au contraire, elles ont poussé à la vaccination, malgré le manque de recul sur les vaccins. « L’argument du principe absolu de précaution est donc considéré ici comme extrême et délétère face à ce fléau », notent les Pr Benjamin Rolland et Sébastien Couraud, ainsi que les quatorze co-signataires. 

Pourtant face au tabagisme, les mêmes autorités, en particulier le Haut-conseil de la Santé Publique (HCSP) dont le rapport sur la vape a été rendu public en début d’année, se drape dans ce principe absolu de précaution pour rejeter la réduction des risques de l’arrêt tabagique à l’aide du vapotage. Les auteurs de la tribune au Monde s’en étonnent alors que, si le virus SARS-CoV 2 a provoqué près de 5 millions de morts en deux ans, le tabagisme provoque le décès prématuré de près de 8 millions de personnes chaque année dans le monde, dont 75 000 en France. 

L’argumentation du HCSP ignore les réalités du contexte tabagique

Le sujet mérite donc au moins autant d’intérêt, de sérieux et, ses victimes, de respect et de compassion. « Certains scientifiques refusent pourtant de promouvoir la “vape” en raison du manque de recul sur les conséquences prolongées de ce nouveau dispositif, au nom du même principe de précaution que celui évoqué précédemment », déplorent les auteurs de la tribune au Monde. 

« Si, dans l’absolu, cette position est compréhensible – il est certainement moins risqué de ne jamais inhaler de vapeur chargée en nicotine que de le faire –, une grande partie des scientifiques et cliniciens fait l’hypothèse raisonnable que les risques et conséquences théoriques au long cours de la cigarette électronique sont infiniment moindres que les risques et conséquences de laisser la population exposée à l’usage de tabac et ses conséquences dramatiques », précisent-ils.

Un mort du tabagisme vaut-il moins ou rapporte-t-il plus qu’un mort de Covid ?

Cependant, un double standard est appliqué par les autorités de santé françaises. Considéré délétère et extrémiste lorsqu’il s’agit du refus de la vaccination face au Covid, « l’argument du principe absolu de précaution » devient parole d’autorité concernant le tabagisme, « à tel point que c’est l’un des principaux arguments sur lequel le Haut Conseil de la santé publique vient de se baser pour refuser officiellement de recommander l’usage de la cigarette électronique contre l’addiction au tabac », pointent les seize spécialistes. 

80 % de rechutes avec les seuls produits recommandés par le HCSP

Cette comparaison des anti-vapes aux anti-vax est-elle valable ? Les auteurs concèdent qu’il existe des alternatives à la vape pour l’aide à l’arrêt tabagique, notamment les substituts nicotiniques (TNS). « Mais, en pratique, les rechutes au long cours atteignent de 70 % à 80 % avec ces traitements. Doit-on alors laisser ces personnes continuer à fumer du tabac, ou bien doit-on raisonnablement leur suggérer d’essayer la cigarette électronique ? », demandent-ils de manière rhétorique. S’appuyant, en plus de leur expérience de terrain, sur la méta-analyse de l’institut Cochrane qui montre l’efficacité supérieure du vapotage pour arrêter de fumer.

« Les médecins, mais aussi tous les soignants impliqués dans la prise en charge de l’addiction au tabac (infirmiers, pharmaciens, kinésithérapeutes…), devraient recommander l’utilisation de cette nouvelle approche de réduction des risques auprès des patients, en particulier ceux qui ne veulent pas ou plus utiliser les TNS. La pandémie au SARS-CoV-2 a montré les limites de l’application intransigeante du principe de précaution absolue lorsqu’il faut faire face à un fléau majeur de santé publique », concluent les seize signataires opposés au recul des droits à l’aide pour arrêter de fumer en France.

Précédemment...

D’autres réactions ont exprimé leur opposition à la régression imposée par le rapport du HCSP. Le Dr William Lowenstein, président de SOS Addiction addictologue et pneumologue, avait dénoncé dans Libération les recommandations absurdes du HCSP. Le Pr Bertrand Dautzenberg avait réagi dans le Point, tandis que le Pr Amine Benyamina et Bernard Basset avait fait une tribune dans le même quotidien du Monde

L’association SOVAPE a publié sa contribution au HCSP pour clarifier l’absence de prise en compte des éléments, notamment scientifiques, qu’elle avait communiqués à celui-ci. De son côté, la Fédération Addiction a regretté ce rapport, espérant qu’il soit rapidement remis à jour de manière plus intelligente en prenant en considération les réalités de terrain. L’association de pneumologues Santé respiratoire France a également pris ses distances avec les recommandations du HCSP.

Auteur référent du rapport sur la vape du HCSP, le Pr François Alla a plaidé le manque de temps et d’aide pour le rédiger dans un étrange interview au Quotidien du Médecin où il expliquait sa démission du HCSP au lendemain de sa publication. Il y explique que le HCSP ne sert que de « service après-vente de décisions déjà prises en amont », sans ajouter que son rapport sur la vape fasse exception. Ce qui n’est guère rassurant à propos des prochaines échéances réglementaires concernant le vapotage, notamment sur les taxes européennes. 

Au final, on ne trouve qu’un seul défenseur du rapport du HCSP dans la sphère médiatique, précisément sur le site Medscape. Le pharmacologue dont on ne peut pas écrire le nom, sous peine de procédure-bâillon judiciaire déclenchée par l’avocat du Comité National Contre le Tabagisme (CNCT) afin d’étrangler les voix défendant la réduction des risques face au tabagisme. Car, si au niveau scientifique, les anti-vapes ont des raisonnements similaires aux anti-vax, au niveau de la liberté d’expression, ils ont des pratiques d'oligarques.

* Publiée ce 3 mars pour les abonnés du quotidien le Monde, la tribune est signée de seize figures françaises de l’addictologie, de la tabacologie, de la pneumologie ou de l’oncologie :

  • Sébastien Couraud, Professeur de pneumologie aux Hospices civils de Lyon, université Claude-Bernard-Lyon-I, président du Comité de lutte contre le tabac (COLT) du CHU de Lyon,
  • Benjamin Rolland, Professeur d’addictologie au CHU de Lyon, CH Le Vinatier, université Claude-Bernard-Lyon-I, secrétaire général de la Fédération européenne d’addictologie/European Federation of Addiction Societies/EUFAS,
  • Marion Adler, tabacologue, responsable du service d’addictologie de l’hôpital Antoine-Béclère, Clamart, AP-HP, et membre du conseil d’administration de la Société francophone de tabacologie,
  • Philippe Arvers, addictologue et tabacologue, Observatoire territorial des conduites à risque de l’adolescent, université Grenoble-Alpes, membre du conseil d’administration de la Société francophone de tabacologie,
  • Michaël Bisch, responsable du département d’addictologie, Centre de psychothérapie de Nancy, secrétaire général du Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (Respadd),
  • Anne Borgne, addictologue, ancienne présidente du Respadd,
  • Jacques Cadranel, chef du service de pneumologie et oncologie thoracique, hôpital Tenon, AP-HP,
  • Olivier Cottencin, chef du service d’addictologie, CHU de Lille, président du Collège universitaire national des enseignants d’addictologie (Cunea),
  • Jean-Pierre Couteron, psychologue, porte-parole de la Fédération addiction,
  • Jean-Michel Delile, président de la Fédération addiction,
  • Laurent Karila, département de psychiatrie et d’addictologie, hôpital universitaire Paul-Brousse, AP-HP,
  • Béatrice Le Maître, tabacologue, CHU de Caen,
  • William Lowenstein, addictologue, président de SOS addictions, 
  • Charles Marquette, professeur de pneumologie, université Côte-d’Azur, CHU de Nice,
  • Phuc Nguyen, addictologue, chef du service d’addictologie du Centre hospitalier de Roanne, et membre du conseil de la Société francophone de tabacologie,
  • Philippe Presles, tabacologue, membre du comité scientifique de SOS addictions.

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