Ultra-réacs ou progressistes? Sur quel pied dansent les anti-tabac Suisses...
Pas de fumée sans feu, mais où c'est que j'ai foutu mon briquet? |
Commissaire
Européen intégriste
invité d'honneur un jour. Séance sur la réduction des risques un
autre... Mais que veulent vraiment les anti-tabac Suisses ?
Dans
deux semaines s'ouvre la session d'été
du Conseil des Etats. Au programme, le débat sur le projet de Loi
sur les produits du tabac (LPTab) [p.87-91].
En avril, la Commission Santé (CSSS-E) de la chambre parlementaire a
proposé son renvoi
par six voix, contre quatre voix soutenant intégralement ce projet
et deux abstentions. Les majoritaires demandent
trois modifications
à la proposition des services du Ministre de la Santé Alain Berset.
En premier lieu, les restrictions sur la publicité pour les produits
du tabac sont
estimées trop draconiennes.
Puis, ils
demandent de lever
l'interdiction de vente du Snuss. Ce
produit de tabac à machouiller qui a fait chuter drastiquement le
tabagisme en Suède à 11% - contre plus de 25% en Suisse - et
entraîné une réduction impressionnante des cancers liés au
tabagisme, comme
l'explique Nathalie Dunand du Vaping Post.
Enfin, ou plutôt surtout,
la CSSS-E refuse l'assimilation des produits sans tabac, tels que le
vapotage, aux produits du tabac. Et propose de réglementer à part
la vape de manière adaptée et cohérente. «La
majorité de la commission comprend difficilement pourquoi on appliquerait aux cigarettes-électroniques contenant de la nicotine la même réglementation - au demeurant très stricte - que celle qui concerne les cigarettes classiques, pourtant bien plus nocives", précise la documentation parlementaire.
A
l'opposé,
les quatre Socialistes
de la CSSS-E ont soutenu le projet de leur Conseiller fédéral. Non
sans souligner, malgré la discipline de Parti,
que certains aspects du projet de loi pourraient être débattus et
modifiés. Enfin, les deux abstentions ont été déterminantes pour
la position officielle de rejet par la CSSS-E. En l'état, on ne peut
qu'avancer une hypothèse sur leurs raisons. Sans soutenir la
publicité pour les cigarettes, les abstentionnistes n'ont-ils pas eu
des scrupules à voter une loi obérant une approche cohérente de
réduction des risques en la matière? Notamment par cette
assimilation orwellienne de la vape au tabagisme et ses conséquences
menaçantes pour
la santé publique.
"Nous ne protégeons que ceux qui méritent protection", Tonio Borg, Commissaire européen à la Santé
Bien
que mal embarqué, ce projet de LPTab a tout de même ses partisans.
L'Alliance anti-tabac - qui regroupe une
centaine d'associations
dont
les
influentes
Ligue pulmonaire et Association Suisse
de prévention contre
le tabagisme (AT)
- bat campagne pour essayer de renverser la vapeur
avant les débats des 46 sénateurs. Vendredi dernier, elle tenait
une conférence de presse avec pour invités d'honneur le Député
Européen
Français
Gilles Pargneaux et Tonio Borg, Commissaire Européen à la Santé.
Le Maltais
avait remplacé, en novembre 2012, John Dalli «démissionné» par
le Président José-Manuel Barroso dans des conditions scabreuses.
Juste à temps pour reprendre en main l'élaboration de la directive
européenne sur les produits du tabac (TPD). Une
affaire qui
a
encore rebondi en mars dernier avec la levée de l'immunité de
Giovanni Kessler, directeur de l’Office de Lutte Anti-Fraude
(OLAF).
Depuis l'entrée en vigueur de la TPD le 20 mai en France, les magasins de vapote ne mettent plus de matériel en vitrine |
Opposé
au divorce, légalisé tout de même en 2011, et militant contre le
droit à l'avortement, toujours illégal à Malte, Tonio Borg est
aussi célèbre pour son refus de toute aide aux minorités
sexuelles. «Nous
ne protégeons que ceux qui méritent protection»,
est son credo. Réduire les risques par la légalisation de
l'avortement ou la distribution de préservatif ne fait donc
pas
partie de ses options politiques. Rien de surprenant que son pilotage
de la TPD ait consacré des restrictions plus dures à la réduction
des risques par le vapotage qu'au tabagisme à proprement parlé, en
évitant notamment d'imposer le paquet neutre.
Intégriste réactionnaire, le Commissaire européen est conséquent
dans son rejet sans compassion de toute réduction des risques. Les
vapoteurs, ces ex-fumeurs qui esquivent le calvaire rédempteur du
sevrage à la dure, ont-ils
mérité
protection ?
La
présence à ses côtés du socialiste Gilles Pargneaux pourrait
surprendre, alors
que les deux-tiers du groupe Socialiste
Européen
s'était opposé à la nomination de Tonio Borg.
Interviewé dans le journal vaudois 24 Heures,
le député Européen
explique
son lobbying pour la
LPTab car
elle "s'inspire de la directive européenne".
En
guise d'argumentation, le leitmotiv
du Français est
le grand complot des illuminati des cigarettiers. En
somme,
tout débat est tentative de Big Tobacco pour pervertir la
politique de lutte contre le tabagisme. Une conception
très « 49-3 » de la démocratie, mais qu'il tient
également avec cohérence en ne soufflant pas un seul mot sur la
question de la réduction des risques. Un
mot
d'ordre intégré
de longue date par les médias Suisses. Avec un black-out quasi
intégral, à l'exception de Vigousse, sur l'enjeu des moyens de réduction des risques et des dommages de cette
nouvelle loi.
Pour
autant, les
anti-tabac Suisses adhèrent-ils tous intégralement au dogme
puritaniste, n'offrant pour seule voie de salut aux fumeurs que l’hostie
du Champix, et refusant tout débat contradictoire? Le Pr
Jean-François Etter, de Stop-Tabac.ch, a publié un article dans la
revue Dépendances – dont
nous avons fait ici une recension -
appelant clairement à ce que les parties prenantes de la lutte
contre le tabagisme se saisissent de la question de la réduction des
risques. «Un
des plus importants débats de santé publique de ces dernières
décennies»,
aux
yeux de l'enseignant à l'Institut de Santé Globale de l'université
de Genève. Au niveau de la communication politique,
le milieu anti-tabac semble être resté totalement sourd à son
invitation. Mais en coulisses, l'idée trace t-elle son chemin?
"Peut-être faut-il collaborer avec les groupes de vapoteurs...", Pr. Jacques Cornuz
«Tabagisme
et santé publique, vers une réduction des risques». C'est
l'inattendu
intitulé
de
la conférence à Neuchâtel, le 31 mai prochain, du Pr Jacques Cornuz, Directeur de la Policlinique médicale universitaire (PMU) de Lausanne, pour la Journée
contre le tabac.
On se gardera d'anticiper les propos qu'il tiendra à cette occasion. Mais, du
moins,
l'embargo
de toute discussion sur le sujet
est
rompue
par cette invitation. En
novembre dernier, de retour du Ecig Summit de Londres, le Pr. Cornuz
avait déjà évoqué une possible ouverture sur les antennes de RTS
La1ère:
«peut-être faut-il plutôt axer nos efforts sur des collaborations
avec les groupes de vapoteurs qui donneront les conseils.(…)
On
est dans une thématique où il y a beaucoup de questions, et on doit
explorer des processus un peu atypiques
par rapport à ce que l'on a connu jusqu'à maintenant».
Depuis
rien ne s'est passé. Aucune
prise de contact. Aucune réponse aux sollicitations (y compris à
mes quelques mails
au Pr Cornuz).
Aucun dialogue, ni écoute, et
toujours la même censure sur le sujet, comme par exemple par la revue Swiss Medical Weekly.
Mais surtout, aucune considération
des
revendications
politiques des vapoteurs,
et notamment de
leur association Helvetic Vape.
Or, il paraît difficilement envisageable, pour
parler par euphémisme,
que les vapoteurs puissent être une simple force supplétive aux
lacunes des médecins sur le sujet. Alors même que le cadre
législatif actuel et le projet de LPTab pour le futur sabote leur
outil de réduction massive du tabagisme. Avec 10'000 morts annuels
directement liés au tabac, 250'000 fumeurs empêchés de se convertir au vapotage à cause de la réglementation actuelle, les
anti-tabac conséquents et honnêtes peuvent-ils vraiment
encore
se tenir dans leur posture méprisante et imperméable à l'égard
des vapoteurs? Les
vapoteurs Suisses ont-ils encore l'enthousiasme de travailler avec
des milieux sanitaires qui ne les ont pas soutenu jusqu'ici?
Edit: coquille à propos du Pr Cornuz qui était vice-président de la Commission fédérale de prévention du Tabagisme jusqu'à fin 2015. Merci à Olivier pour me l'avoir signaler ;)
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