Publicité négative : ARTE veut convaincre les fumeurs de rester à la cigarette

Le film sera diffusé le mardi 22 septembre en prime time sur Arte et accessible en ligne dès la veille. « Cloper sans fumée, la nicotine revisitée » de Bärbel Merseburger-Sill s’annonce être un brulot à charge contre le vapotage. Dans la bande-annonce et le texte de présentation du site d’Arte, pas moins de six affirmations trompeuses ou erronées sont déjà diffusées. La plus grossière est la fausse attribution au vapotage des pneumopathies liées aux produits frelatés à l’acétate de vitamine E du marché noir du THC aux États-Unis en 2019.

Théorie du complot et mensonges

Seconde affabulation : la théorie complotiste du film prend appui sur le mythe de la mainmise des cigarettiers sur le vapotage. Dans la réalité, le marché est loin d’un oligopole avec plus des 8/10 e des ventes pour des firmes indépendantes des cigarettiers. Dans la foulée, la chaîne franco-allemande reprend à son compte la théorie éculée de la passerelle : « l’industrie de la nicotine, d’un redoutable cynisme, cible dès à présent les très jeunes, dont elle s’emploie à faire les fumeurs de demain », dans le texte. 

Dans la réalité, le tabagisme des jeunes s’écroule où le vapotage s’est développé. A croire que les complots cigarettiers ne sont plus ce qu’ils étaient. D’autant plus qu’une étude sérieuse de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (OFDT) conclut à une réduction de 38 % du risque de devenir fumeur à 17 ans pour ceux qui ont essayé le vapotage par rapport aux jeunes qui n’y ont jamais touché. Mais Bärbel Merseburger-Sill s’est libérée des faits pour raconter son histoire.

Diffamation de scientifiques et pseudo-science

Ainsi le film dessine la figure du méchant en diffamant les organismes scientifiques de santé publique, le Royal College of Physicians (UK) et Public Health England, ayant évalué une réduction de 95 % des risques du vapotage par rapport à la cigarette, en prétendant qu’ils sont des « représentants de l’industrie »

La fiction ne s’arrête pas là, le film glisse même dans une sorte de science-fiction. La nicotine présenterait plus de danger que l’héroïne, selon les promoteurs du documentaire de Bärbel Merseburger-Sill. Le terme de danger implique d’avoir des preuves, mais un film autorise la fantaisie. On se doute de l’option prise par la réalisatrice. Avant de conclure que les dangers du vapotage sont avérés. Auxquelles s’ajoutera dans le film, de fausses affirmations sur le caractère cancérigène prétendument avéré (!) du vapotage, sur la base d’études biaisées sur des souris et aux résultats infirmés par les spécialistes.

Un succès commercial

Décrypter chacun de ces points est long (voir plus bas des suggestions de lecture). L’extrême majorité des personnes qui visionneront le film ne le feront pas. En ceci, on peut déjà féliciter Arte pour sa réussite commerciale : en lui faisant confiance, des centaines de milliers de ses téléspectateurs français et allemands seront un peu plus convaincus de ne pas essayer d’arrêter de fumer avec le vapotage. La méthode de la publicité négative est une technique de marketing très efficace. 

Les téléspectateurs d’Arte choqués de cette fumisterie pourraient saisir le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) en raison de l’évidente maltraitance des informations de santé. La bande-annonce ainsi que son texte d'accompagnement permettent déjà de faire une telle saisine en raison des multiples erreurs diffusées.

[Add 14h] A toute fin utile, le lien sur mon drive vers la copie de ma saisine au CSA:   https://drive.google.com/file/d/1W83pmn9omC1olx8b-OvuJNlpag8baZ4B/view?usp=sharing [/]

Le CSA défendra t-il le droit à une information de santé honnête ?

Le secteur public de l’audiovisuel est sensé, selon l’article 43-11 de la loi relative à la liberté de communication, assurer « une mission d’information sur la santé ». Arte ayant labellisé sur son site le film comme « Médecine et santé », la chaîne pourrait être tenue à l’objectivité de son contenu, en contraste d’une liberté créatrice d’une œuvre de fiction. 

À fortiori, en portant atteinte aux spectateurs qui fument par désinformation sur un sujet de santé, il constitue une mise en danger. Les chances sont faibles, mais le CSA pourrait se montrer sensible à ce nouvel exemple de dérive sensationnaliste, alors que le contexte de mésinformation sanitaire du public montre tout son potentiel délétère dans l'actualité. 

Une opération politique

Une autre raison possible de saisie du CSA est le caractère unilatéral du documentaire. Aucun représentant de l’approche de réduction des risques ni de défenseurs des utilisateurs de produits à risques réduits, n’a la parole dans le film. Il présente la vision unique du courant pro-abstinence, pourtant minoritaire chez les acteurs de terrain de santé et du social. « L’expression pluraliste des courants de pensée », défendue par l’article 13 de la loi sur la liberté de communication, sur les approches de santé publique concernant le tabagisme n’est pour le moins pas respectée. Ceci est d’autant plus pervers que le sujet sera en débat au niveau des instances européennes ces prochains mois.

À ce titre, on serait curieux de connaître de manière transparente les financements du film. On ne trouve aucune information sur le site du producteur Berlin Producers. Il est très probable que cet aspect restera secret. On peut imaginer qui nourrit l’intérêt, à quelques mois de la révision de la directive européenne TPD qui concerne le vapotage, de dénigrer l’aide la plus populaire pour arrêter de fumer dans la plupart des pays européens. 

Au moins 7,5 millions de citoyens de l’Union Européenne ont arrêté de fumer à son aide, et neuf autres millions ont réduit sensiblement leur consommation de cigarettes. Ce sont des pertes colossales pour les percepteurs de taxes du tabac, les vendeurs de cigarettes, mais aussi les vendeurs de médicaments aux millions de fumeurs rendus malades par leur tabagisme.

Un film gore

Arte semble s’être autorisée à prendre le risque de nuire à la santé de ses téléspectateurs qui fument en les induisant en erreur. Le nombre estimé de décès par an liés au tabagisme approche 75 000 en France et 105 000 en Allemagne. Des millions sont malades à cause de la nocivité des cigarettes. Mais Bärbel Merseburger-Sill a choisi de les conforter dans la peur de sortir de la cigarette. Cette mise en danger n’est pas gratuite.

Les échéances politiques avec des pressions pour faire interdire les arômes de vapotage et taxer la vape au niveau européen approchent. De probables tentatives de révisions de la directive TPD en mai prochain et, en parallèle, un projet d’intégrer le vapotage à la directive européenne des taxes du tabac. Le Bundestag allemand travaille déjà sur le sujet. L’enjeu de maintenir les centaines de milliards € de rentrées fiscales, de ventes de cigarettes et ventes de médicaments pour les fumeurs malades semble avoir pris le pas sur la déontologie et l’honnêteté sur la chaîne franco-allemande.

Graphique extrait de la présentation au Bundestag le 7 septembre 2020, du Dr Martin Storck, de la clinique de Karlsruhe, sur les risques cancérigènes comparés entre cigarette, tabac chauffé et vapotage. Sa présentation est en ligne à https://www.bundestag.de/resource/blob/711050/40b859307b0d526dbefa1b562b944f13/05-Storck-data.pdf

Aides au décryptage

Pour ceux qui auront le temps et le courage de vouloir vérifier les faits, on peut recommander ces lectures (liste non exhaustive) :


Commentaires

  1. Hasard du calendrier ... BusinessAM a publié le 18 septembre un article affirmant que les vendeurs de cigarettes électroniques "dupent" leurs clients. En résumé, la vapeur est toxique et favorise la propagation du coronavirus. Les "experts" recommandent de durcir la législation pour empêcher "l'industrie de la e-cig" de minimiser des risques avérés par une communication mensongère. L'ennui, c'est que sur quatre liens de "références - sources", un renvoie à un autre article Business AM, deux à des études sur la sémantique du langage de la vape (exemple de conclusions: Le mot "vapeur" inquiète moins que le mot "aérosol" lui-même moins anxiogène que le terme "produits chimiques") et le dernier à une étude de la Stanford University justifiant la probable faiblesse des jeunes vapoteurs parce que ceux-ci "abîment leurs poumons en vapant". Voyez par vous-même: https://fr.businessam.be/il-faut-empecher-les-revendeurs-de-cigarettes-electroniques-de-duper-les-consommateurs-previennent-les-experts/ - suivre leurs liens vers leurs sources est intéressant. Hasard de calendrier ... ou début d'une offensive anti-vape ...

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    1. Merci. J'ai défriché "l'étude" de Stanford qui est en fait plutôt un sondage vite et mal fait. https://vapolitique.blogspot.com/2020/08/covid-et-vape-une-etude-americaine-tres.html
      Depuis plusieurs scientifiques ont fait des demandes de rétraction de cette publication voir le fil de PubPeer https://pubpeer.com/publications/CEB008BBD48F89272321EB50092793
      Pour le reste, tu a résumé...
      Oui, il y a une offensive anti-vape à l'approche de la révision de la directive européenne TPD agendée pour mai prochain, mais les discussions sont déjà entamées. Et il y a aussi un projet de révision de la directive européenne des taxes du tabac pour intégrer entre autres le vapotage. Les lobbys anti-vape agitent leurs réseaux médias... Philippe Poirson

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  2. Conclusion criminelle et irresponsable...la dernière phrase de ce documentaire comme d'autres dans le documentaire est purement scandaleuse.

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  3. Merci de votre travail salutaire. Ce documentaire est un scandale.

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  4. A mon sens, votre titre est aussi tendancieux qu'une partie de ce reportage. Qui ne me laisse pas une même impression, visiblement: ok pour une vision unilatérale des pneumopathies et une pour une certaine instruction à charge. Mais au fond, c'est avant tout l'industrie du tabac et ses nouveaux dérivés l'objet principal du reportage. Ce qui personnellement m'amène quelque réflexion:
    - la confusion entre les nouveaux produits de BigT et la vape indépendante me paraît en partie le résultat d'une errance de la vape elle-même qui n'a jamais vraiment coupé les ponts
    - Restons également de bonne foi, si l'on veut que les autres le soient: il n'existe aucune preuve scientifique définitive que la vape ne soit absolument pour rien dans les pneumopathies, comme il n'existe aucune preuve scientifique définitive que la vape soit absolument sans danger, notamment pour les poumons.
    - C'est bien de toujours parler d'argent, des intérêts financiers de BigT et de ceux qui y sont inféodés, y compris les associations de lutte contre le tabagisme. Mais la vape est aussi devenue un gros marché, n'est-ce pas ! (estimé en France à plus de 800 millions d'euros, non ?). Elle représente désormais pas mal d'argent, surtout au vu d'un nombre finalement assez restreint de personnes qui en vivent. Le discours de réduction des risques désintéressée commence à avoir du mal à passer...

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    1. La vape n'a jamais coupé les ponts??? Mais lesquels puisqu'il n'en a jamais existé? D'où tenez vous vos infos exotiques?

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  5. "errance de la vape elle-même qui n'a jamais vraiment coupé les ponts" Entrez un jour dans un magasin de vape et demandez quels produits sont vendus par l'industrie du tabac, aussi bien en dispositifs qu'en eliquide. Ou sont-ils fabriqués, par qui ?

    Avez-vous suivi tous les liens que Philippe vous a fourni ? faites votre critique et reparlons en...

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  6. Merci réellement Philippe pour cette énergie dépensée pour la collectivité.

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