Tabak über alles : Le cauchemar bureaucratique de la taxe antivape Allemande

Au moment où la Commission européenne veut imposer une taxe contre le vapotage à tous les pays de l’UE, l’exemple désastreux de la taxe antivape en Allemagne mérite attention. D’autant plus que la Commission voudrait taxer aussi les e-liquides sans nicotine, selon les informations de Selim Denoyelle, directeur général de la FIVAPE. Suivre l'exemple allemand et intégrer les ingrédients d’e-liquide hors nicotine à la directive européenne des taxes sur le tabac (TED) aurait toutes les chances d’aboutir à l’échelle de l’UE au même cauchemar kafkaïen que le piteux exemple allemand décrit dans cet article.

Hausse de 190 € pour un litre de base

Le 15 juin 2021 passé minuit, le Bundestag adopte, en 15 minutes débats compris, une taxe antivape, initialement proposée par le Ministère des finances alors dirigé par Olaf Scholz. Un an plus tard, Olaf Scholz est devenu Chancelier fédéral et la taxe entre en vigueur. À partir du 1er juillet 2022, les e-liquides y compris sans nicotine sont surtaxés de 0,16 € par ml en Allemagne. Après une période transitoire, plus aucun produit « destiné » à être vapoté ne peut être vendu en Allemagne sans timbre fiscal spécifique depuis le 15 février. La TVA de 19 % en Allemagne s’applique au prix comprenant cette taxe antivape, ce qui a amené la fiole de 10 ml d’e-liquide avec ou sans nicotine à subir une augmentation de 1,90 € à cause de la taxe.

Mais plus encore, l’interprétation de la direction des douanes de la modification de l’article 2 de la loi sur les taxes du tabac (TabStG) inclue « tout produit destiné » à confectionner un e-liquide : propylène glycol (PG), glycérine végétale (VG), arômes, voire l’eau distillée. Ainsi en application, les taxes frappent également les arômes et les bases sans arôme ni nicotine. Un litre d’un simple mélange de PG et/ou de VG, coûtant 8,40 € hors taxe, est désormais taxé de 192 € en magasin de vape, atteignant un prix de vente prohibitif dépassant 200 €.

Doublement des taxes d’ici 2026

En 2026, il pourrait même être taxé à hauteur de 382,40 €. Car la taxe anti-vape allemande a déjà un agenda de hausses programmées. Elle est de 0,16 €/ml actuellement, elle sera portée à 0,20 €/ml en 2024, puis 0,26 €/ml en 2025, et 0,32 €/ml à partir du 1er janvier 2026, auquel s’ajoute la TVA. Le tableau du magasin de vape allemand Flotter-Dampfer en illustration [steuern = taxe] montre l’évolution prévisible des prix.

Précognition de vapotage

Cependant, les arômes et les bases PG et/ou VG ne sont pas des produits exclusivement de vapotage. Ils se trouvent dans des commerces d’alimentation ou des drogueries pour d’autres usages. Et pour ceux-ci, ils ne sont pas taxés. Selon l’administration, la taxe anti-vape s’applique « sur tout ce qui est destiné » à faire des e-liquides. En principe, de l’eau distillée en vue d’être utilisée dans la préparation d’un e-liquide doit être taxée à 0,16 € par ml. Mais pas si elle est destinée à remplir un fer à repasser. Taxer ou non un même produit en fonction de sa destination d’usage est une idée, disons, bureaucratique. 

Qui plus est, les producteurs et vendeurs doivent déterminer à l’avance la destination du produit par les clients, puisque la taxe passe par l’apposition de timbres fiscaux sur l’emballage des produits, donc avant la mise en vente. Les producteurs d’e-liquide doivent ainsi investir pour coller ces timbres et surtout payer les timbres d’avance. Ce paiement d’avance de la taxe, que le produit soit ou non vendu dans le futur, se reporte évidemment aussi sur les commerces. Une des conséquences sera une élimination rapide des petites entreprises qui n’ont pas la trésorerie suffisante.

« La réglementation avec des timbres fiscaux ne peut pas être mise en œuvre par de nombreuses petites et moyennes entreprises du secteur. Les coûts initiaux dépasseraient de loin les bénéfices nets », réagit Dustin Dahlmann, président de l’Alliance professionnelle pour un plaisir sans tabac (BfTG), en juin 2021 après l’adoption de la taxe au Bundestag

Une plainte devant le Tribunal des finances de la Sarre 

Cependant, l’interprétation de la direction des douanes du libellé de la modification de loi (article 2), est contestée. Le 4 octobre, un commerçant et un consommateur ont déposé plainte devant le Tribunal des finances de la Sarre, avec le soutien de l’Association des commerces d’e-cigarettes (VdeH). « La description subjective de l’assujettissement à la taxe via la destination est tout à fait sujette à interprétation, dommageable pour le commerce spécialisé et également non contrôlable par les autorités », explique Oliver Pohland, directeur de la VdeH. Ce recours conteste l’application de la taxe aux ingrédients, tels que les bases et les arômes. Une décision du Tribunal devrait prendre plusieurs mois et la plainte n’a pas d’effet suspensif.

Le poison de la taxe

Évidemment, les consommateurs vont rapidement comprendre où acheter des bases et des arômes sans la taxe antivape. La loi produit ainsi une inégalité de traitement caractérisée entre les types de commerce. « La taxe fonctionne bien comme un poison pour la filière du vapotage », explique Me Bo Hillebrand sur le site allemand E-Garage. « En raison de la destination évidente, tout liquide adapté au vapotage qui passe par le commerce de l’e-cigarette sera soumis à la loi TabStG et sera donc beaucoup plus cher que le produit identique dans un commerce alimentaire », ajoute l’avocat de l’Alliance professionnelle pour un plaisir sans tabac (BfTG).

Une autre plainte devant la Cour constitutionnelle

Ce point est l’un des griefs d’une autre plainte contre la modification de loi. Chronologiquement déposée avant la plainte au Tribunal des finances, celle-ci s’adresse à la Cour Constitutionnelle fédérale de Karlsruhe, la plus haute juridiction en Allemagne. Soutenus par la BfTG, les quatre plaignants sont une personne privée, la société InnoCigs de Hambourg, dont le directeur Dustin Dahlmann est également président de la BfTG, la société Happy Liquid de Munich et l’avocat Bo Hillebrand. La Cour constitutionnelle peut aller jusqu’à l’annulation de la loi si elle juge que des droits fondamentaux des plaignants sont violés par celle-ci.

Violation de droits fondamentaux

Le mémoire de la plainte évoque l’évidente inégalité de traitement pour les magasins de vapotage par rapport aux vendeurs des mêmes produits, tels que des drogueries ou des magasins alimentaires. Un second point est l’inégalité de traitement fiscal pour les consommateurs de vapotage par rapport aux consommateurs de tabac à rouler. 

Le cabinet d’audit Cordes & Partners GmbH de Düsseldorf, mandatée par les plaignants, a calculé que, pour un même niveau de nicotine absorbé, la consommation de tabac à rouler génère une part fiscale de 1,34 € par jour, tandis que la consommation de vape procure 5,71 € de taxes quotidiennes à l’État fédéral. Le traitement est inégal alors même que fumer du tabac à rouler est indiscutablement beaucoup plus nocif que vapoter.

Le tabassage fiscal des vapoteurs incite donc les consommateurs de nicotine à se tourner pour des raisons financières vers le tabac à rouler plutôt que de vapoter. Une inégalité à l’envers, à la fois injuste et toxique. Mais peut-être pas tout à fait surprenante pour le pays classé 3e puissance industrielle mondiale de la transformation de tabac.

Détention illégale d’arôme alimentaire

Pour « empêcher » l’achat d’ingrédients tels que le PG, le VG ou les arômes, sans surtaxe anti-vape par des vapoteurs afin de confectionner leur e-liquide à moindre coût, l’administration des douanes a ajouté une couche à son application. Les douanes stipulent que la taxation concerne également la détention d’ingrédients destinés à devenir des e-liquides. En cas d’infraction, c’est-à-dire la détention d’un ingrédient en vue de l’utiliser pour faire un e-liquide sans s’être acquitté de la taxe, le contrevenant peut être poursuivi au pénal

Problème, la taxation passe par des timbres fiscaux achetables uniquement par des professionnels. Un consommateur détenteur d’ingrédients, achetés sans surtaxe antivape, qu’il déciderait de destiner à faire des e-liquides, ne semble pas avoir la possibilité de s’acquitter de la taxe, tout en étant en infraction.

Une fiole d’arôme alimentaire du garde-manger d’un vapoteur pourrait, par exemple, tomber sous la loi de taxe du vapotage si les autorités estiment qu’il les destine à en faire un e-liquide. Mais pas si le vapoteur imagine préparer un Streuselkuchen. Autant dire que sans la création d’une fictive brigade fédérale de « précogs » capable de discerner à l’avance les futures volitions d’acheteurs d’arômes, c’est évidemment inapplicable.

« La destination en tant que composant mixte pour les e-cigarettes résulte de la manière dont il est commercialisé, de la présentation ou du design de l’emballage de vente au détail, de la destination du produit et des attentes associées des consommateurs », réponse du Gouvernement fédéral le 18 janvier 2023 à une question parlementaire concernant l’application des taxes sur les arômes alimentaires, le propylène glycol et la glycérine végétale.

En arrêtant de fumer, il devint soudainement délinquant

Par quelques bouts que l’on prenne l’application de la taxe, soit elle induit une inégalité de traitement entre commerces, soit elle produit artificiellement une situation d’infraction inextricable pour les consommateurs. Ceux-ci croyant arrêter de fumer avec un moyen à risque réduit, se retrouve désormais métamorphoser en délinquants fraudant le fisc, même involontairement. Possible voie de sortie à cet absurde nœud gordien, les deux recours en justice, devant le Tribunal des finances et devant la Cour constitutionnelle, prendront de longs mois avant d’aboutir à un jugement. Aucun des deux n’a de pouvoir suspensif.

Cependant, la Direction des douanes allemandes a prévu une exception pour les importations à titre d’usage personnel jusqu’à 1 litre d’e-liquide, mais pas plus de 10 unités de vente au détail (c.-à-d. pas plus de 10 fioles y compris si elles font 10 ml chacune), et jusqu’à 300 € de valeur. Même si cela est loin d’être clair, y compris pour les douaniers eux-mêmes, le point devrait rassurer les voyageurs allant en Allemagne. Cette exception va aussi probablement inciter les vapoteurs allemands au tourisme d’achat, bien que les commandes à distance sont interdites.

Garder secret le luxurieux désir de ne plus fumer

Évidemment, cette taxation spécifique sur la destination d’usage de produits courants va modifier le comportement d’achat pour la part de consommateurs, ne voulant pas retourner au tabac et n’ayant pas les moyens financiers de payer les e-liquides au tarif fédéral. En conséquence, le désir pour ainsi dire déjà « coupable » de vapoter devra rester secret au moment d’achat d’arômes alimentaires hors surtaxe antivape pour ne pas tomber sous le coup de la taxation de la destination devenue « vicieuse » par décision fédérale de l’objet. En bref, le vapoteur ne pourra plus se renseigner auprès du vendeur sur les produits qu’il achète. 

Or cela va poser des soucis sanitaires qui pourraient être sérieux. Les arômes de vape sont des arômes alimentaires, mais tous les arômes alimentaires ne conviennent pas à être vapoté. Cette taxation punitive va dégrader le risque sanitaire du vapotage en pratique, et incidemment mettre à mal le travail de normalisation et les mesures législatives pour assurer la sécurité des produits. En espérant que cette taxe pousse-au-crime n’entraine pas de cas graves. Les risques de mésusages des arômes sont désormais très élevés en Allemagne. Sur cet aspect, les bases PG/VG ne devraient pas poser ce type de problèmes. 

Les douaniers alertent contre une taxe « startup » à délinquant

Outre le risque de report vers le tabac et l'autoconfection à l'aveugle, la taxe antivape pourrait bénéficier au marché noir. La branche des douaniers du Syndicat de la Police (GdP) a  tiré la sonnette d’alarme sur le sujet dès mars 2021, avant le vote de la modification de loi. Pour Frank Buckenhofer, président de la branche douanière du Syndicat de Police, la taxe contre la vape « est comme une "startup" pour criminels ». « On pourrait dire sans détour que c’est une très mauvaise idée, soit constater avec une résignation plus polie : c’est de la politique qui ne réfléchit pas aux conséquences de ses décisions », s’agace le représentant des 44 000 douaniers affiliés à son syndicat dans une interview à E-Garage.

Pour le représentant syndical, la marge de profit possible entre le produit hors taxe et le produit taxé ouvre un boulevard au développement de trafics. Les consommateurs risquent d’être confrontés à des produits frelatés de qualité sanitaire douteuse. Les bénéfices engendrés pourraient ensuite abreuver les circuits de blanchiment d’argent. Le risque est d’offrir « la possibilité aux délinquants de s’engraisser financièrement et de nuire ainsi à toute l’économie légale. Ceux qui tirent des revenus du commerce illicite doivent blanchir l’argent en le légalisant », explique Frank Buckenhofer. 

Les prévisions ridicules du Ministère des Finances déjà invalidées

Le représentant syndical ne croit pas aux prévisions de recettes fiscales annoncées par le Ministère des Finances. « Le manque à gagner fiscal peut être considérable. Je suis très sceptique quant à savoir si les recettes prévues par le gouvernement fédéral seront réellement générées par la taxe sur les e-liquides », soulignait Frank Buckenhofer en juillet 2022 au moment de l’entrée en vigueur de la taxe.

Les premières données publiées par l’administration fédérale semblent lui donner raison. Sur les six premiers mois, les recettes fiscales des taxes sur la vape ont été 62 % plus faibles que prévu. « Pour l’année 2022, les prévisions de recettes fiscales s’élevaient à 108 millions d’euros lors de l’élaboration du projet de loi. Sur la base des valeurs fiscales des timbres fiscaux perçus déjà disponibles pour 2022, on prévoit désormais des recettes fiscales de 41 millions d’euros », reconnait le Ministère des Finances le 18 janvier 2023 devant le Parlement

À la même séance, questionné par le groupe Die Linke (La Gauche) sur le risque d’étranglement du secteur de la vape par la taxe, le ministère des Finances estime qu’il n’y a « pas de réponse générale à cette question ». En dépit de l’effondrement du marché par rapport à ses propres prévisions et l’envolée du tabagisme. Au contraire, les hauts fonctionnaires prévoient une augmentation mécanique des recettes au fur et à mesure des hausses des taxes antivapes, n’ayant visiblement pas anticipé l’impact négatif de leur taxe sur l’activité. 

Relance réussie du tabagisme

Les deux objectifs prétendus de la loi de taxe anti-vape ne seront pas atteints. L’État allemand ne recueillera pas les centaines de millions € annoncés et la santé publique ne se verra pas améliorée. Au contraire, elle sera dégradée par le retour au tabagisme d’une partie des vapoteurs et l’utilisation à l’aveugle, sans aide possible, de produits pour l’autoconfection clandestine d’e-liquides ou le recours au marché noir pour d’autres. 

Le retour forcé au tabagisme semble déjà bien entamé puisque l’Allemagne bat des records de hausse du nombre de fumeurs depuis l’annonce de l’introduction de la taxe antivape. En janvier, l’Allemagne comptait plus de 35 % de fumeurs dans sa population adulte. Une relance du tabagisme qui est, il est vrai, profitable aux recettes fiscales du gouvernement et au maintien de la bonne santé économique de l’industrie cigarettière allemande, 3e puissance industrielle mondiale de transformation de tabac. 

Reste à la population l’espoir qu’un des deux recours en justice fasse choir cette situation kafkaïenne. La violence de la procédure du paiement par avance des timbres fiscaux risque cependant de mettre en faillite nombre de petites entreprises de vape avant que la justice n’aie eu le temps de se prononcer.


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