Suisse : Le Conseil des Etats confirme vouloir une taxe punitive contre les vapoteurs

C’est la poursuite de la vieille alliance entre antitabac et cigarettiers contre les moyens de réduction des risques en Suisse. Le 8 mars, une majorité du Conseil des États a voté le projet de taxe anti-vape présenté par le Conseil fédéral. Ce projet prévoit une taxation de 0,20 fs par millilitre (ml) d’e-liquide avec nicotine, en fiole de recharge ou en pods, et 1 fs par ml avec ou sans nicotine dans les jetables. En y ajoutant la TVA, cela ferait une augmentation du prix de vente de près de 2,18 fs pour une fiole de 10 ml, que ce soit des boosters sans arôme ou des e-liquides aromatisés. Les produits sans nicotine, sauf les jetables, ne seraient pas surtaxés. Reste au Conseil National à se prononcer sur l’éventuelle, mais très probable, adoption de la taxe. En cas d’acceptation par les députés, elle entrerait en vigueur en même temps que la nouvelle Loi tabac (LPTab), probablement courant 2024. 

Dénialisme de gauche et tabacco-responsabilité de droite

Au Conseil des États, la gauche a voté la taxe au nom de la lutte antitabac, bien que le vapotage soit actuellement le moyen le plus utilisé et efficace d’arrêter de fumer. « C’est faux », a argumenté avec toute sa science le socialiste bernois Hans Stöckli. Son camarade de parti, Carlo Sommaruga va plus loin et nie la réduction des risques. Dans le 20 Minutes, il regrette « la faiblesse de cet impôt sur les cigarettes électroniques, dès lors que le modèle est l’imposition du liquide contenant de la nicotine plutôt que de la nicotine elle-même. Cela aboutit à donner un privilège fiscal à la nicotine des cigarettes électroniques par rapport à la nicotine des cigarettes ordinaires ». 

Du côté de la droite « classique », le projet de taxe anti-vape avait été initialement proposé à la Commission Santé du Conseil des États en août 2019 par le Libéral Joachim Eder. A ce propos, le désormais ex-conseiller aux États de Zoug avait loué le cigarettier Japan Tobacco pour son grand « sens des responsabilités » en comparaison des entreprises de vape indépendantes. Le centre et la droite ont donc poursuivi sa logique pour protéger les cigarettiers de la concurrence du vapotage en s’alliant à la gauche, acquise au néo-puritanisme à la Bloomberg. 

En minorité, des sénateurs de l’Union Démocratique du Centre (UDC) alliés à quelques élus du Parti Libéral Radical (PLR) ont proposé sans succès de réduire la taxe à 0,11 fs/ml pour les e-liquides de recharge en fiole. Si gauche pseudo antitabac et Partis Des Cigarettiers se sont entendus pour faire sa taxe à la vape, comme ils s’étaient déjà alliés dans les années 1990' pour interdire le snus, leur alliance n’a pas tenu pour la proposition de gauche d’y soumettre aussi le tabac chauffé. Quelle surprise.

Une taxe moitié moins élevée que dans le projet initial

Dans son projet initial, le Conseil fédéral voulait une taxe qui aurait fait augmenter la fiole de 10 ml de près de 4,38 fs. Les contributions à la consultation publique, dont la mienne publiée ici, ont amené celui-ci a réduire de moitié sa proposition de taxe concernant les e-liquides. Il a par contre doublé celle sur les jetables, passant à 1 fs/ml. Le Conseil fédéral a également changé la définition initiale distinguant produits ouverts et fermés pour la remplacer par une distinction entre produits réutilisables et produits jetables. Les pods sont ainsi passés du niveau de taxe le plus élevé à celui moins élevé. 

Les nombreuses contributions des utilisateurs de vape, ainsi que de praticiens de santé de terrain, ont probablement joué un rôle dans l’assouplissement de la taxe sur les e-liquides de recharges dans le projet final du Conseil fédéral. Tandis que la campagne anti-puff de l’Association suisse pour la prévention du tabagisme (AT-CH) a facilité l’argumentaire des producteurs de pods, essentiellement des cigarettiers, de les distinguer des jetables.

Astuce de communicant

Si le Conseil fédéral avance un taux de taxation du vapotage « 93 % moins élevé » que pour les cigarettes, le détail de son calcul met à nu l’astuce de communicant. Le message du Conseil fédéral le révèle en affirmant une équivalence de consommation de 1,5 ml d’e-liquide pour 20 cigarettes dans son calcul de la taxe (p. 12), mais, quatre pages plus loin, une consommation estimée à 3 ml par jour par vapoteur alors que les fumeurs grillent 14 cigarettes par jour en moyenne lorsqu’il évalue les recettes de la taxe (p. 16). 

En proportion la taxe anti-vape proposée est donc trois fois plus importante par rapport aux cigarettes que ce que le Conseil fédéral prétend. Et ceci en laissant de côté le tabac à rouler dont le coût est bien inférieur pour le consommateur. Vapoter induit aussi d’autres frais, notamment l’achat de l’appareil puis le changement régulier des résistances. Ainsi grâce à cette taxe, le tabac à rouler redeviendrait le moyen le moins onéreux de consommer de la nicotine. 

L’abandon des plus modestes à la principale cause évitable de mortalité

La principale conséquence prévisible de cette taxe serait un très fort frein à l’adoption du vapotage par les fumeurs les plus modestes, notamment ceux qui utilisent du tabac à rouler. Plus de 20 % des fumeurs utilisaient du tabac à rouler en 2016 (aucune donnée plus récente). Les fumeurs aux revenus les plus bas sont à la fois les plus frappés par le tabagisme, les moins armés pour en sortir et se retrouvent totalement abandonnés par les services de santé. Même les substituts nicotiniques, vendus à prix d’or, ne sont pas remboursés en Suisse et les groupes d’aide à l’arrêt sont tarifés dans la plupart des cantons à un prix les réservant aux classes aisées

En se basant sur des études économiques concernant l’impact des taxes anti-vape, la taxation prévue à hauteur de 2,20 fs par fiole pourrait ne repousser dans le tabagisme qu’un nombre limité de vapoteurs exclusifs actuels, probablement de 10 000 à 20 000 d’entre eux. Cependant ces études se sont déroulées aux Etats-Unis et avant la période de forte inflation actuelle. Ce contexte pourrait accentuer l’impact sur des budgets déjà comprimés par les hausses des produits alimentaires et de l’énergie. Le report vers le tabac à rouler pourrait s’amplifier à cause de la taxe contre la vape.

Le retour des astuces de contournement

On peut espérer que les améliorations de santé ressenties par les vapoteurs exclusifs puissent être une motivation suffisante pour que la majorité concède à une augmentation de leur budget vape plutôt qu’un retour au tabac. Pour limiter les surcoûts, les plus modestes pourraient se reporter sur des e-liquides, ou des arômes pour vapotage, sans nicotine et l’achat transfrontalier de boosters nicotinés, l’importation à titre personnel d’e-liquide étant autorisée jusqu’à 120 ml.  

Cependant, cet optimisme est beaucoup moins évident concernant les « doubles usagers », dont le chemin vers l’arrêt tabagique peut être long et fragile. Il est très probable qu’ils seraient nombreux à abandonner le vapotage à cause du surcoût et du signal négatif que cette taxe envoie. Ces éléments font que l’objectif financier annoncé par le Conseil fédéral d’encaisser près de 13,8 millions fs par an grâce à la taxe anti-vape, paraît douteux. Il y aura par contre probablement une hausse des revenus fédéraux des taxes sur le tabac grâce à cette mesure entravant l’accès au moyen de réduction des risques. 

Prochaine étape, le Conseil national

Dans les prochains mois, ce sera au tour du Conseil national de débattre du projet de taxe, pour éventuellement le modifier, le rejeter ou le valider. Avant de passer devant la chambre, la proposition de taxe sera revue par la Commission de l’économie et des redevances (CER). Les citoyens ont évidemment le droit d’écrire ou de contacter les élus. L’objet sera probablement rapidement à l’agenda des députés. S’ils valident la taxe telle que proposée par le Conseil fédéral, la Suisse aurait une imposition punitive contre les personnes ayant arrêté, ou désirant arrêter de fumer, à l’aide du vapotage parmi les plus dures d’Europe. 

Moins pire qu’en Allemagne, cette taxe reste fondamentalement délétère

Cependant, en regard de la taxation kafkaïenne allemande, elle éviterait ses formes les plus abusives, discriminatoires et inapplicables. Les citoyens suisses échapperaient au délire bureaucratique de leurs voisins germaniques. Pour autant, la taxation d’un moyen efficace de réduction des risques, dans un pays où le tabagisme est la première cause évitable de maladies et de décès prématurés, reste en soi une aberration contre la santé publique, une entrave au droit personnel d’opter pour une réduction des risques, et un coup de poignard dans le dos de la population la plus modeste. 

La taxe anti-vape, si elle est adoptée, pourrait entrer en vigueur en même temps que la nouvelle Loi tabac (LPTab), probablement l’an prochain selon l'administration fédérale. La LPTab interdira la vente des produits de vapotage aux mineurs, limitera le taux de nicotine des e-liquides à 20 mg/ml maximum et la contenance des fioles d’e-liquides nicotinés à 10 ml.

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