Fraude sur la vape et les crises cardiaques: la revue JAHA fait la sourde oreille à une nouvelle plainte de 16 experts anti-tabac
Dans deux lettres fin janvier, seize nouveaux experts anti-tabac* s'inquiètent de la fraude sur le vapotage et les crises cardiaques publiée en juin dans le Journal of the American Heart Association (JAHA). L'étude signée Stanton Glantz et Dharma Bhatta, de l'Université de San Francisco (UCSF), a fait grand bruit dans les médias à l'époque. Le vapotage serait cause de crises cardiaques. Pourtant rapidement, des chercheurs nourrissent des doutes sur les conclusions de l'analyse statistique.
Le Pr Brad Rodu et Nantaporn Plurphanswat, de l'Université de Louisville, obtiennent les données brutes fédérales ayant servi à l'étude et s'aperçoivent, selon USA Today du 19 juillet, qu'une "large part des 38 patients de l'étude ayant subi une crise cardiaque l'ont eu avant de commencer de vapoter". Les deux chercheurs écrivent à la revue, le 11 juillet puis le 18 juillet, pour demander la rétraction de l'article aux conclusions infondées. En réaction, JAHA joue l'obstruction.
Pression pour étouffer l'affaire
Le 3 octobre, le Consortium interuniversitaire pour la recherche politique et sociale (ICPSR) fait pression au prétexte de la protection des données personnelles sur le Dr Brad Rodu et Nantaporn Plurphanswat pour qu'ils ne divulguent pas publiquement leur contre-analyse. Plus de trois mois après les deux lettres de Brad Rodu et Nantaporn Plurphanswat, la revue JAHA leur répond enfin le 30 octobre d'une formule ampoulée selon laquelle elle va enquêter. "La réponse du Journal de l'American Heart Association n'offre rien de plus qu'une obfuscation bureaucratique", réagit Clive Bates, spécialiste du domaine de la réduction des risques, dans le fil de commentaires PubPeer à l'article de Glantz et Bhatta.
Le Pr Andrew Gelman confirme l'erreur fondamentale de l'étude
En novembre, le Pr Andrew Gelman, spécialiste de statistique renommé et directeur de l'Applied Statistics Center de l'Université Columbia, effectue sa propre analyse des données. "Bhatta et Glantz font des allégations causales basées sur la corrélation entre les problèmes cardiaques et l'utilisation de vapotage, il semble donc approprié d'exclure de leur analyse les personnes qui n'ont commencé à vapoter qu'après leurs attaques cardiaques", explique le spécialiste dans un billet sur son blog.
"Même s'ils l'avaient fait", poursuit-il, "je peux anticiper des problèmes sur les résultats - la confusion avec le tabagisme est le gorille de 800 livres dans la pièce, et toute tentative d'ajustement sur ce facteur de confusion dépendra nécessairement fortement du modèle utilisé pour cet ajustement... mais retirer ces 11 personnes [qui ont eu l'attaque cardiaque avant de vapoter] de l'analyse, cela semble être un minimum", souligne le Pr Andrew Gelman. Cependant, la revue JAHA ne donne toujours pas signe de vie.
Seize experts rentrent dans la bataille
Le 20 janvier, 16 experts* de renommée mondiale de la lutte anti-tabac se décident à demander des clarifications à la revue JAHA, exprimant leur "inquiétude concernant les défauts fondamentaux" du papier signé par Stanton Glantz et Bhatta. Notamment deux lacunes majeures mettent à mal le prétendu lien de causalité entre vapotage et risque de crises cardiaques. En premier lieu, les experts relèvent que "bon nombre des crises cardiaques comptabilisées dans l'analyse se sont produites avant l'adoption du vapotage [par les personnes victimes de crises] et leur exclusion de l'analyse annule la conclusion et la prémisse globale de la publication".
Par ailleurs, les experts académiques soulignent que "les auteurs étaient au courant des données de l'enquête utilisée qui auraient pu corriger cette erreur", à savoir les dates des crises cardiaques et de l'entrée en consommation de vapotage. Les 16 experts soulignent que "la revue n'a jusqu'à présent pas fourni de réponse substantielle à ces préoccupations", déjà mises en lumière par l'analyse de Brad Rodu. Mais, une fois de plus, la revue JAHA envoie une réponse creuse le 23 janvier.
Seconde charge contre le JAHA
Le 29 janvier, les 16 pointures reviennent à la charge précisant trois problèmes majeurs. "(1) Des défaillances critiques dans le document publié lui-même ; (2) le comportement des auteurs qui n'ont pas ajusté leur analyse en fonction des données qu'ils savaient exister et qui aurait résolu les problèmes liés à leur analyse, mais ce faisant, auraient remis en cause leur conclusion initiale ; (3) la procédure suivie par le journal à la lumière de la plainte du donneur d'alerte déposée par le Dr Brad Rodu en juillet 2019 et à présent suivie par nous".
Les chercheurs vont plus loin en demandant à la revue ce qu'elle compte faire sur deux points précis. "Question 1. Il est clair que les résultats ne sont pas fiables. La revue accepte-t-elle que les résultats ne sont pas fiables et que propose la revue à propos de l'article publié? Question 2 . Pouvez-vous confirmer s'il y a ou a eu une enquête sur cette plainte, décrire son état actuel et indiquer le résultat de l'enquête, le cas échéant?"
Une rétraction seulement après avoir obtenu des mesures anti-vape?
À cette heure, le JAHA n'a pas répondu à la dernière demande des chercheurs. La controverse est accessible au public dans les commentaires de la publication du résumé de l'étude sur PubPeer, le réseau regroupant les publications scientifiques. Cette semaine dans la revue Reason, Jacom Sullum se demande "à la lumière de ce "problème de données", où est "l'évaluation objective et approfondie" promise par la revue JAHA ?"
Huit mois après le début de la controverse, tout laisse à penser que l'Association of Heart American joue la montre. Alors que, par exemple, Ranti Fayokun a encore présenté les résultats de Glantz et Bhatta sur les risques de crises cardiaques et d'AVC liés au vapotage comme des vérités établies devant les délégués du Conseil exécutif de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à sa 146e session la semaine dernière à Genève.
[add 18-02-2020] La revue JAHA vient de rétracter la publication. Explications dans ce nouveau billet [/add]
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* Les 16 signataires sont:
Pr David B. Abrams, New York University
Pr Kenneth Michael Cummings, Medical University of South Carolina
Pr George Davey Smith, University of Bristol
Dr Konstantinos Farsalinos, Onassis Cardiac Surgery Centre
Pr Jonathan Foulds, Penn State University
Pr Abigail Friedman, Yale School of Public Health
Pr Thomas Glynn, Stanford University
Pr Peter Hajek, Queen Mary University of London
Pr Martin Jarvis, professeur émérite de l'University College of London
Pr Robert Kaestner, Université de Chicago
Pr Ann McNeill, King's College of London
Pr Marcus Munafò, University of Bristol
Pr Raymond Niaura, New York University
David Sweanor, University of Ottawa
Pr David Timberlake, University of California, Irvine
Pr Kenneth Warner, University of Michigan
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