Affaire de la falsification du 19:30: la RTS veut m'imposer un accord de non-divulgation
Il y a des pays où les journalistes défendent la liberté d'expression. Et puis il y a la Suisse, où la Radio Télévision Suisse Romande (RTS) tente de bâillonner les rares voix qui la critiquent. En l’occurrence ma voix, en voulant m'imposer une clause de confidentialité à propos de l'affaire de l'interview falsifiée diffusée par le journal télévisé 19:30 le 5 septembre 2019. J'avais transmis mon article dévoilant la supercherie au service de médiation de la chaîne de service public romande. Le service d'information de la RTS a traîné autant que possible pour répondre, pour finir par demander mi-janvier à ce que les échanges soient soumis à une clause de non-divulgation.
Si j'avais accepté cette fameuse NDA, cela m'aurait interdit de parler, évoquer, publier ou transmettre le contenu de ces échanges à qui que ce soit. Je n'aurais pas pu écrire ce billet par exemple. J'ai refusé cette clause, tout en acceptant la poursuite du dialogue. Le service de médiation de la RTS n'a plus répondu.
La falsification du 5 septembre
Pour rappel, la RTS a diffusé le 5 septembre dernier une interview initialement tournée par CBS News dont elle a coupé des passages, dénaturant ainsi le contenu pertinent pour les téléspectateurs. À savoir, un jeune, atteint de la vague de pneumopathies aux États-Unis cet été, reconnait avoir consommé des liquides frelatés achetés au marché noir du THC, et son médecin de confirmer la présence de vitamine E dans ceux-ci.
La RTS n'a retenu que la part de l'interview où le jeune malade évoque son utilisation d'une vaporette d'une marque célèbre. Le commentaire du journaliste suisse incrimine uniquement le vapotage, compris dans le langage courant comme le vapotage de nicotine, et passe totalement sous silence la cause réelle des pneumopathies. La chaîne n'a apporté aucun correctif, malgré ma demande.
Ya du bon tabac à la RTS
Ce procédé viole de manière flagrante la déontologie journalistique. Il y a de multiples intérêts à maintenir le tabagisme. Notamment celui de l'industrie cigarettière, celui des laboratoires pharmaceutiques dont une large part du chiffre d'affaires profite des malades du tabagisme, et les milliards de taxes récoltés par le Département fédéral de l'Intérieur, dirigé par Alain Berset, l'idole socialiste et romande de la RTS. Mais il y a aussi l'intérêt direct de la chaîne à promouvoir le maintien dans le tabagisme, ainsi que l'interdiction de publicité par affichage et dans les journaux du tabac, car plusieurs de ses programmes profitent des financements de l'industrie cigarettière.
Les grands prix de Formule 1, programme hautement 'bankable', voient ses deux principales écuries financées par Philip Morris et Britsh American Tobacco. La firme cigarettière vaudoise finance aussi une des écuries des courses de moto GP diffusées sur la RTS. À peu près tout le monde a compris que le nombre ahurissant de fumeurs dans les séries télévisées et pas mal de films dépasse le besoin scénaristique. Les restrictions de publicité se sont accompagnées d'une explosion de la présence de cigarettes sur les écrans. Il y a environ deux fois plus de fumeurs dans les séries actuelles qu'il y a 20 ans. Dans tous ces cas, la RTS ne reçoit pas directement d'argent des cigarettiers, mais profite de leur financement de la production de programmes qu'elle diffuse.
Soft power et encéphalogramme plat
Évidemment, la hiérarchie de la RTS ne procède plus à la "soviétique". Le new management a aussi converti ses salles de rédaction. Les consignes prennent les formes éthérées de conseils, remarques et petits commentaires. On ne licencie plus les journalistes qui n'ont pas suivi la ligne, on leur confie juste d'autres sujets. Et, évidemment le plus important, on emballe cette ligne éditoriale dans la bonne conscience politiquement correcte que le vapotage serait la nouvelle cigarette. Le journaliste romand ne pense pas mentir à ses concitoyens, ses voisins, ses proches ou ses enfants. Non, il croit les sauver d'un complot.
Comme un lapsus
L'imbrication de ses deux éléments était illustrée par le débat Infrarouge du 18 septembre, deux semaines après la diffusion de l'interview falsifiée au 19:30. En préambule du débat et non visible dans le replay, la publicité pour la prochaine diffusion sur la RTS du grand-prix de formule 1 avec l'écurie à la couleur Marlboro en gros plan. L'émission refoule, au sens pour ainsi dire psychanalytique du terme, cette publicité qui l'a introduit. Cette forclusion de la responsabilité de la RTS structure la discussion. Ainsi Infrarouge plante le cadre du débat contre le vapotage en réitérant la présentation mensongère de la crise américaine avec un sujet similaire à celui du 19:30 que je mets en cause.
Parmi les multiples séquences confondantes du débat, dont les leçons joliment récitées par deux étudiants qui rappellent un peu le style révolution culturelle maoïste, la présentatrice Cynthia Gani se fend d'un très théâtralisé "Mais les enfants ! Mais les enfants !". Tuant d'office la possibilité d'un débat sur la réduction des risques pour les jeunes. Alors que, selon les chiffres d'Addiction Suisse à qui certains reprochent d'être sous-estimés, 25% des ados de 15 à 18 ans et 38% des jeunes adultes de 18 à 24 ans romands sont fumeurs.
Les futurs malades du tabagisme programmés par la RTS
Combien de ceux-ci auraient pu éviter d'essayer la cigarette en essayant plutôt de vapoter, occasionnellement comme les 3/4 des jeunes qui vapotent? Combien parmi ceux déjà fumeurs réguliers auraient pu sortir du tabagisme avec la vape? On peut se faire une idée avec les exemples d'autres pays. Au Royaume-Uni, le taux de tabagisme des jeunes a décru des deux tiers depuis 2011, aux États-Unis de moitié. Ces chutes se sont accompagnées d'un taux élevé d'expérimentation du vapotage, mais d'un niveau faible de vapotage au quotidien. Ce qu'il se passe n'est pas très compliqué à comprendre. Mais c'est tabou et la RTS se tient ferme dans son déni. Non seulement dans cette émission, mais sur l'ensemble de son traitement du sujet depuis plusieurs années.
Le rejet de la réflexion par principe de protection de son déni
Cette forclusion abreuve la duplicité des journalistes de la RTS. Ils savent pertinemment qu'ils mentent. On ne coupe pas de la manière dont a été falsifiée l'interview du 5 septembre sans savoir ce qu'on fait. On ne prépare pas la réplique surdramatisée sur "les enfants" de Cynthia Gani sans savoir qu'on cherche à manipuler le public. Et il y aurait un triste tas d'autres exemples en provenance de la RTS télévision et radio.
Mais, autant j'ai peu de doute sur le cynisme de la stratégie commerciale de la direction de la RTS sur ce dossier, autant je crois que les journalistes enrobent leurs mensonges et manipulations d'un voile de morale. Probablement ont-ils besoin de croire absolument à la notion de pureté des jeunes. Tous les programmes de prévention sont organisés autour de ce mythe romantique. En réalité, ils sont violemment inefficaces pour les jeunes. Mais ils confortent les a priori idéologiques et moraux des décideurs qui avalisent ces programmes. Ils sont conçus pour être efficaces à obtenir des budgets, pas à être efficaces sur les jeunes.
C'est ainsi que se reproduit mécaniquement un taux de tabagisme où près de la moitié des jeunes adultes fument. Les journalistes, pour des raisons d'ordre psycho-sociologiques sur lesquelles je fais l'impasse ici, embrassent ce qu'ils croient être le point de vue des décideurs. Ce rôle hybride entre chien de garde et caniche était patent dans le débat d'Infrarouge. En dénigrant le vapotage et en soutenant des mesures qui en entravent l'accès, ce ne sont pas seulement les 'vieux' fumeurs que ce camp anti-vape condamne à mort. C'est en premier lieu une large partie des jeunes qu'il pousse à ne pas avoir d'alternative à risque réduit au tabagisme. Mais ceci est invisibilisé par ce refoulement derrière l'alibi moral.
Un certain dégoût de l'abject
Cette duplicité perverse conciliant bonne morale ainsi que protection et reproduction du tabagisme traverse de part en part le service d'information de la RTS sur le sujet depuis plusieurs années. Son rôle a été déterminant dans la mise en place d'un rapport de force politique qui est sur le point d'aboutir aux lois scélérates anti-vapoteurs aux niveaux fédéral avec le projet de LPTab, et cantonal, à Genève par exemple. Je pense qu'on peut déjà leur concéder la victoire. La partie est jouée, même s'il reste quelques formalités de procédure. Le tabagisme Suisse va se maintenir encore au moins dix ans dans la continuité des dix années précédentes. L'ordre tabagique est sauf, le pseudo "principe de précaution" pour maintenir ses 10'000 décès annuels a prévalu.
Dans ce contexte, accepter l'accord de non-divulgation que voulait m'imposer la RTS n'aurait pas seulement été problématique en regard de mes activités de blogueur et associatives. Cette acceptation de la loi du silence m'aurait été une forme de complicité moralement intenable. Le mauvais traitement infligé par la RTS à la réduction des risques pour les fumeurs a imprégné, malgré moi, mon regard de leurs programmes de la couleur de l'abject. Je ne sais pas si j'arriverais un jour à lever ce dégoût.
https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=7&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjxkvWRybLnAhXFaVAKHTbOAjAQFjAGegQIAxAB&url=https%3A%2F%2Fpages.rts.ch%2Femissions%2F36-9%2F10174684-lempire-du-tabac-contreattaque.html&usg=AOvVaw1dWAZXr5AHtenyK9YrZlgX
RépondreSupprimerVoici le lien vers une autre émission de la rts qui était heureusement d'une tout autre qualité ! (36,9 du 13 mars 2019)
https://www.rts.ch/play/tv/369/video/lempire-du-tabac-contre-attaque-?id=10279439 (je remets un lien qui me parait plus simple ;) ) C'est effectivement une bonne émission. Durant la préparation de son sujet, Isabelle Moncada m'avait d'ailleurs contacté et nous avions eu une discussion assez longue. Tel que je comprends l'organisation de la RTS, 36°9 est indépendante du service information.
SupprimerPassionnant! Merci pour votre blog.
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