Covid-19 & Fake News: des scientifiques recadrent la FDA après un article vaseux de Bloomberg.com

Treize experts anti-tabac ont répliqué par lettre à une sortie vaseuse sur le vapotage et le Covid-19 d’un chargé de comm' de la Food and Drug Administration (FDA) dans Bloomberg.com. 

À sa lecture attentive, l’accroche tapageuse ne reflète pas vraiment le contenu vaseux de l’article. « Selon la FDA, vapoter pourrait aggraver les risques liés au virus », titre le site Blomberg.com le 27 mars. S’ensuivent des suppositions sur des possibilités alambiquées dont on cherche en vain les fondements. 

Dans un premier temps, les deux auteures avaient laissé dans le flou, avant d’éditer l’article pour préciser que ce sont elles qui ont sollicité la FDA. Puis elles ont encore modifié leur article pour y ajouter une déclaration complémentaire de l’intervenant de l’agence pour évoquer de potentiels risques pour les personnes ayant déjà des problèmes de santé, y incluant de manière énigmatique les vapoteurs visés initialement par la publication. 

Pourrait peut-être potentiellement

Le passage remanié en question de l’article de Bloomberg.com : « “Les personnes ayant des problèmes de santé sous-jacents, tels que des problèmes cardiaques ou pulmonaires, pourraient avoir un risque accru de complications graves de Covid-19”, a déclaré Michael Felberbaum, un porte-parole de la FDA dans un courriel vendredi en réponse aux questions de Bloomberg. “Cela inclut les personnes qui fument et/ou vaporisent du tabac ou des produits contenant de la nicotine” ».

Michael Felberbaum, le chargé de communication de la FDA, se présente lui-même comme « un communicant, ex-journaliste à Associated Press, amateur de bières artisanales et joueur de hockey ». Cela situe son niveau d’expertise sur le Covid-19 et le vapotage, sujet sur lequel il n’y a aucune étude ni d’indice d’un quelconque lien positif ou négatif. L'article de Bloomberg.com évoque aussi un bout de phrase sortie d'un blog très spéculatif de Nora Volkow, directrice du National Institute on Drug Abuse (NIDA), l'institut qui a financé la mise au point des cigarettes OGM à très faible taux de nicotine.

Réagissant à cet article « regrettable », par un courrier envoyé hier à la FDA, treize experts chevronnés de la lutte contre le tabagisme déplorent le manque de sérieux de ce coup de comm' et ses conséquences négatives pour les personnes ayant arrêté de fumer avec le vapotage. 

Le public mérite une information honnête, même les vapoteurs

« Il y a environ 12 millions de vapoteurs et 34 millions de fumeurs aux États-Unis. S’ils doivent recevoir des informations sur des questions vitales, surtout en cette période anxiogène, ils méritent mieux qu’un courriel ad hoc d’un porte-parole de la FDA envoyé à un seul service d’information en ligne », pique le courrier signé notamment par le Procureur général de l’Iowa Thomas Miller, le Pr David Abrams de l’Université de New York et Clive Bates, expert renommé et ancien directeur de l’organisation anti-tabac Action on Smoking and Health (UK) (les autres signataires en note de fin d’article *). 

Plus précisément, ils regrettent l’effet de peur contre les vapoteurs recherché par la publication de Bloomberg à laquelle s’est prêté le chargé de comm' de la FDA. « Il est probable que de nombreux vapoteurs présentent des problèmes sous-jacents qui augmentent la vulnérabilité et la susceptibilité de symptômes graves ou mortels du Covid-19. Cela s’explique par le fait que beaucoup d’entre eux sont d’anciens ou encore fumeurs et qu’ils ont accumulé des dommages à leurs systèmes cardiovasculaire et respiratoire à travers de nombreuses années de tabagisme », expliquent les experts.

Propagande nuisible

Avant de poursuivre en pointant le caractère délétère de l’article. « Beaucoup vapotent dans le but de réduire leurs risques liés au tabagisme et, ou de soulager ces symptômes. Il est donc particulièrement important qu’une grande attention soit portée aux conseils donnés à ce groupe. Sur quelle base la FDA croit-elle pertinent en ce moment de décourager les personnes souffrant de troubles sous-jacents liés au tabagisme de vapoter, alors que l’alternative probable pour beaucoup serait un retour au tabagisme ? »

La question est surtout rhétorique, car il n’existe actuellement aucune donnée sur un quelconque risque, ni une diminution de risque, du vapotage en regard du Covid-19. Reste le conseil de santé, valable hors du contexte du Covid-19, d’arrêter de fumer. « Sur ce point, nous pensons donc que les conseils aux fumeurs devraient être conformes à l’impératif de santé publique d’arrêter de fumer par n’importe quelle méthode efficace, et cela inclut de passer au vapotage ou d’autres produits nicotinés non combustibles à faible risque ».

Ce qu’on ne sait pas dire clairement, mieux vaut le taire

« Si la FDA est en mesure de fournir des conseils francs et clairs qui mettent la santé de millions d’Américains au premier plan, et ce sur la base de connaissances comportementales et biomédicales solides, alors elle devrait le faire et nous serions heureux de la contribution de l’agence. Toutefois, si ses communications sont arbitraires et mal conçues, répandent la peur et la confusion avec peu de bases scientifiques et avec des conséquences imprévisibles, alors il serait préférable que la FDA et ses porte-paroles dans les médias s’abstiennent d’autres commentaires pour le moment », concluent les treize experts.

Bloomberg business

La lettre adressée à la FDA se concentre sur les manquements évidents de la communication de l’agence à cette occasion, en laissant de côté le média propagateur. Mais que Bloomberg.com publie un article pour répandre la peur chez les vapoteurs en sollicitant un communicant un peu bêta de la FDA n’est pas tout à fait innocent. Bloomberg.com est un site d’information dédié aux spéculateurs financiers, à l’image de son fondateur Michael Bloomberg. Celui-ci est également engagé en politique où il vient d’échouer aux primaires démocrates

Au début du mois, ces deux camarades de parti au pouvoir à New York avaient aussi joué la carte de la peur du vapotage pour ne pas faire face à l’épidémie de coronavirus. Au 8 mars, lorsque Bill de Blasio accusait le vapotage, il y avait 20 cas de covid-19 à New York. Selon la page du Gisand Data, il y a au moment où j’écris plus de 76 000 cas confirmés et 1714 décès du Covid-19 à New York.

Michael Bloomberg s’est aussi lancé depuis quelques années dans le business de la philanthropie avec plusieurs entreprises, dont la Bloomberg Philanthropies Company (LLC). Il a investi plusieurs centaines de millions dans des campagnes de lutte contre l’approche de réduction des risques face au tabagisme, en particulier contre le vapotage. Parmi ces derniers investissements, 160 millions $ sont attribués à une campagne pour faire interdire le vapotage « aromatisé » aux États-Unis.

Opacité totale sur les intérêts financiers de Bloomberg

Le milliardaire, dans le top 10 des fortunes mondiales, a refusé de présenter sa déclaration d’impôt durant les primaires démocrates. La plupart de ses entreprises « philanthropiques » sont des Limited Liability Company (LLC), qui n’ont pas à répondre des exigences habituelles des fondations philanthropiques. Aucun compte n’est publié, aucune obligation de financer des causes caritatives, aucune restriction sur des délits d’initiés, notamment sur le fait de financer une action qui va profiter à une entreprise du donateur. 

L’opacité totale de cette forme juridique pour des entreprises prétendant être philanthropiques est dénoncée par de nombreux chercheurs, sans avoir d’écho dans les médias. Aucun contrôle du public ne peut s’exercer sur les réelles motivations et les éventuelles tactiques financières de ces soi-disant initiatives philanthropiques. Les liens d’intérêts du milliardaire avec les entreprises pharmaceutiques, mais aussi avec des États tabagiques, notamment l'Inde et la Thaïlande, posent questions

Aucune réponse fiable ne peut être apportée en raison de l’opacité de son empire financier, y compris de la plupart de ses compagnies « philanthropiques ». L'orientation hostile à la réduction des risques et contre les droits des usagers des organismes financés par l'empire Bloomberg ne lève pas les doutes sur une instrumentalisation "troyenne" de la lutte anti-tabac pour les intérêts du milliardaire.

La désinformation contamine les autres continents

Dans son autobiographie et maints discours, où il aime parler de lui-même, Michael Bloomberg insiste sur son exigence d’obéissance et d’allégeance de ses employés. La mention des noms des deux auteures de l’article dans Bloomberg.com, Anna Edney et Angelica LaVito, est pour ainsi dire anecdotique.

La Fake News de Bloomberg.com sur un risque accru de Covid-19 par le vapotage a été diffusée et reprise par des organismes de la sphère d’influence du milliardaire et par des médias. Dans l’aire francophone, c’est le Comité national contre le tabagisme (CNCT) français qui a lancé le 27 mars le mauvais canular. L’association Sovape a répliqué, mais les médias proches des intérêts cigarettiers, comme le 20 Minutes suisse, ont repris l’enfumage du CNCT sans tenir compte de la communication de Sovape, ni de la lettre des treize experts anti-tabac. 

Le doute profitant au maintien dans le tabagisme, l’opération est bonne pour les défenseurs du statu quo tabagique. Par contre, on peut douter que cela n'accroisse la confiance du public envers les instances de santé. Aux Etats-Unis, plus de 40% de la population n'accordait déjà plus sa confiance aux messages des autorités sanitaires, selon une enquête en 2018 du Wellcome Trust.

* Les treize signataires de la lettre à la Food and Drug Administration (FDA):
Thomas J. Miller, Attorney General of Iowa (United States)
David B. Abrams, PhD, Professor, Social and Behavioral Sciences, College of Global Public Health, New York University (NYU) (United States)
Scott D. Ballin, JD, Health Policy Consultant, Former Vice President and Legislative Counsel American Heart Association, Washington DC (United States)
Clive Bates, MA, MSc, Director Counterfactual Consulting, Former Director, Action on Smoking
and Health UK, London (United Kingdom)
K. Michael Cummings, PhD, MPH, Professor, Department of Psychiatry & Behavioral Sciences, Co-leader, Hollings Cancer Center Tobacco Research Program, Medical University of South Carolina, Charleston (United States)
Konstantinos Farsalinos, MD, MPH King Abdulaziz University (Saudi Arabia), University of Patras (Greece) School of Public Health, University of West Attica (Greece)
Thomas J. Glynn, PhD Adjunct Lecturer School of Medicine Stanford University Palo Alto, California (United States) 
Ethan Nadelmann Founder Former Executive Director (2000-2017) Drug Policy Alliance New York (United States) 
Raymond Niaura, PhD Professor, Social and Behavioral Sciences College of Global Public Health New York University (United States) 
Steven A. Schroeder, MD Distinguished Professor of Health and Healthcare Department of Medicine, University of California, San Francisco (United States) 
David Sweanor, JD Chair of Advisory Board of the Center for Health Law, Policy and Ethics University of Ottawa (Canada) 
Kenneth Warner, PhD Avedis Donabedian Distinguished University Professor Emeritus of Public Health and Dean Emeritus, University of Michigan School of Public Health (United States) 
Daniel Wikler, PhD Mary B. Saltonstall Professor of Ethics and Population Health Department of Global Health and Population Harvard T.H. Chan School of Public Health Boston, Massachusetts (United States)

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