Bloomberg enrôle des trolls à 250$ pour une campagne de parents anti-vape

En pleine crise du coronavirus, le philanthro-bizness suit son agenda politique. Une campagne en trois volets sera lancée ce mercredi 18 mars pour se poursuivre jusqu’au 30 avril sur les réseaux sociaux. En apparence, des parents américains inquiets alerteront des dangers du vapotage pour les adolescents et la nécessité d’interdire toute vape aromatisée et sa vente sur internet. En réalité, ces influenceurs ont été recrutés 250 $ pour poster trois messages sur les réseaux sociaux par l’entreprise de marketing WomenOnline. L’opération fait partie d’une campagne disposant d’un budget de 160 millions $ pour viser l’interdiction totale des liquides aromatisés de vapotage aux États-Unis.

Des parents trolls

» Nous créons des programmes marketing percutants (...). Nous aidons les clients à se connecter avec les influenceurs qui propulseront véritablement la marque ou le message du client », explique le site WomenOnline. Malgré des campagnes médiatiques intenses depuis trois ans, manipulant les chiffres entre expérimentations et usages fréquents du vapotage chez les adolescents, les parents sont rares à s’engager dans les campagnes anti-vape. La firme de marketing est donc partie à la chasse aux participants avec 250 $ de prime pour chacun. Parmi les conditions d’éligibilité : avoir au moins 4 000 abonnés sur un réseau social et n’avoir « jamais recommandé d’arrêter de fumer à l’aide du vapotage » (sic!).

Les influenceurs devront poster trois messages. Le premier s’attaquera à Big Tobacco, avant d’y amalgamer la vape aux deuxièmes et troisièmes vagues, au nom de la protection des adolescents avec le hashtag #ProtectKids. Aux États-Unis, la vente de produits de vapotage est interdite aux moins de 21 ans depuis février. Les pods ne sont plus disponibles que dans les goûts tabac et menthol. Seules les fioles de liquide aromatisé restent disponibles légalement.

Le tabagisme des lycéens américains divisé par trois depuis 2011

Cette campagne prend place alors que le tabagisme des lycéens américains s'est écroulé de 15,8 % en 2011 à 5,7 % en 2019. Une analyse en détail sur le vapotage, à partir des données 2018 de l’enquête NYTS, montre que 20,8 % des lycéens disent avoir vapoté au moins une fois au cours du dernier mois, mais près des trois quarts d’entre eux de manière occasionnelle. Parmi les 5,8 % de lycéens vapoteurs fréquents (usage au moins 20 jours dans le mois), l’extrême majorité avait précédemment déjà fumé. Reste que la part de vapoteurs chez les lycéens américains augmente sensiblement depuis 2017 selon ce suivi.

Campagnes perverses

Plusieurs études pointent des effets contre-productifs des campagnes anti-vape ciblant les ados depuis 2016. Des clips, dont celui de Darren Aronofsky en 2018, ont suscité des jeux d’attraction-répulsion, tandis que les mots d’ordre d’abstinence provoquent l'attendue réactance. Une analyse de leur impact sur les jeunes à travers Instagram, publiée dans Frontiers in communication en janvier, montre l’échec de ces campagnes.
« Je ne pense pas que ce message soit efficace. C’est une façon super sophistiquée de nous rappeler que la nicotine crée une dépendance. Je m’imagine en train de scroller sur mon téléphone cherchant à m’amuser, et là, le clip anti-vape de la FDA veut me dire ce que je dois faire », un adolescent américain à propos du clip d’Aronofsky dans l’étude de Frontiers in communication
De même, le matraquage médiatique du terme « épidémie » a généralisé l’idée d’une mode. « Si l’objectif est de décourager un comportement, le pire message qu’une annonce de service public puisse envoyer est que “tout le monde le fait” », souligne l’analyse de Michelle Minton, du Competitive Enterprise Institute.

Philanthro-bizness

Pour beaucoup, cet effet contre-productif chez les jeunes était prévisible. Mais la cible réelle des campagnes n’est-elle pas plutôt l’adhésion inquiète des parents? Le recrutement des parents trolls par WomenOnline semble donner corps à cette lecture. L'opération sur les réseaux sociaux est commanditée par l’organisation Campaign for tobacco-free kids (CTFK), qui dispose de 160 millions $ spécialement dédiés à l’interdiction des liquides aromatisés de vape. En cherchant le bailleur de fonds initial dans l’enchevêtrement de poupées russes financières, on aboutit à l’entreprise Bloomberg Philanthropies LLC, propriété du multimilliardaire Michael Bloomberg.


Bloomberg Philanthropies LLC a le statut de Limited Liability Company (LLC), société à responsabilité limitée américaine. La compagnie de « philanthropie » a bien un but lucratif. L’entreprise peut s’adonner au lobbying et à des actions politiques. Elle n’est pas soumise aux restrictions concernant les délits d’initiés ni à l’obligation d’un quota d’aide à des causes caritatives, contrairement aux fondations.

Opacité financière

« Une LLC ne nécessite pas non plus les mêmes types de divulgation de documents fiscaux publics, et le couple [Zuckerberg-Chan] peut choisir de débourser tout profit de la LLC comme bon lui semble. À tous ces égards, la LLC agit davantage comme un véhicule d’investissement privé », expliquait le New York Times à propos de la création de la Chan Zuckerberg Initiative LLC au Delaware en décembre 2015.

Sarah Reckhow, de l’Université du Michigan, estime dans son livre Follow the money que les LLC en « philanthropie » constituent une évolution antidémocratique rendant toute recherche indépendante impossible à leur propos. Par ailleurs, lors de sa très brève campagne aux primaires démocrates, Michael Bloomberg a refusé de présenter sa déclaration de revenus. Ne levant aucun des doutes que l’on peut légitimement nourrir  sur ses activités.

En lien avec les rumeurs conspis ?

On peut se demander les éventuels liens entre cette campagne, les rumeurs conspirationnistes liant coronavirus et vapotage, nées sur les sites chinois puis répandues aux Etats-Unis, et enfin l'intensification ces dernières heures de la diffusion de fausses informations sur le vapotage et les risques de contamination. Les diffuseurs semblent liés au cercle d'influence de Michael Bloomberg. Mais cela pourrait n'être qu'un effet de halo... (?)

Philanthropie Potemkine

Pour résumer, la campagne sur les réseaux sociaux à l’apparence de parents inquiets sera en réalité une opération de trolls recrutés par un cabinet de marketing. Le prétexte d’une épidémie de vapotage chez les ados ressemble plus à mouvement d’évitement du tabagisme qu’à un coronavirus. Des activités autoproclamées de philanthropies sont le fait d’entreprises à but lucratif aux finances opaques. Tout cela prenant pied dans un contexte d’élection, de jeux d’écritures comptables et d’effets contre-productifs établis chez les jeunes des campagnes menées par ces lobbys.

[Mise à Jour 18-03-2020 à 14h30] WomenOnline a annulé l'opération rémunérée en dernière minute, officiellement en raison de l'épidémie de Covid-19. "Comme nous l'avons mentionné dans nos e-mails de notification concernant la campagne suspendue, nous ne faisons rien officiellement en tant qu'agence aujourd'hui", explique un mail de l'agence de marketing. [/]

D’autres éléments de la nébuleuse toile d’entreprises « philanthropiques » de Michael Bloomberg sur le terrain du tabac me semblent étranges. Mais ce sera pour de prochains billets...

L’émission Spreaker du 10 février dernier sur Bloomberg :


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