COVID-19: de la Chine jusqu'aux USA en passant par l'OMS, les mutations d'une fakenews complotiste anti-vape
Classique machiavélique : détourner l’attention de sa mauvaise gestion en trouvant un bouc émissaire. L’instrumentalisation des vapoteurs dans la communication de crise sur le coronavirus joue le même rôle des deux côtés du Pacifique dans leurs décors respectifs. Le dernier épisode américain, ce week-end a pris la voix du maire de New York Bill de Blasio accusant le vapotage de « rendre les gens plus vulnérables » au COVID-19. Il n’y a aucune donnée, aucune étude, absolument rien pour soutenir cela. Mais la théorie du complot incohérente qui lui a donné naissance trouve sa source sur les réseaux sociaux chinois avant d’avoir été répandue par des canaux de propagande du régime autoritaire de Pékin.
Un vapoteur serait atteint du coronavirus
Dimanche dernier, l’agence Reuters lance le teaser : « De Blasio a déclaré lors d’une conférence de presse que les personnes qui fument ou vapotent sont plus à risque ». Le lendemain devant la presse, le maire revient avec une « preuve ». Un vapoteur new-yorkais de 22 ans serait atteint du coronavirus et hospitalisé. À ce moment-là, il y avait 113 582 cas de coronavirus détectés dans le monde, selon le suivi en temps réel de l’Université John Hopkins. Et donc un vapoteur parmi eux, selon le maire de New York.
Soyons honnêtes, il est très probable qu’il ne soit pas le premier vapoteur atteint. Mais la caractéristique du vapotage n’apparaît pas dans les recueils statistiques du Covid-19. Une absence signifiant peut-être que les professionnels de santé ne l’ont pas identifié comme un aspect significatif et prépondérant dans l’épidémie. Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune donnée pour soutenir qu’il y a une relation particulière, qu’elle soit protectrice ou aggravante, entre vapotage et coronavirus. En bon politicien, Bill de Blasio s’est simplement payé de mot pour distraire l’attention du public américain.
Rechute de l’OMS
Vecteur de diffusion à vocation pandémique, le Dr Alexey Kulikov, responsable des relations extérieures à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a répandu dans la foulée sur les réseaux sociaux, et semble-t-il, par messageries privées la déclaration du maire new-yorkais. On l’espérait guérie, après le scandale en janvier de sa page de fakenews sur le vapotage publiée avant d’être en partie corrigée. L’OMS avait même promis de veiller sur la communication à propos de la nouvelle épidémie de coronavirus. Mais, incorrigible, il n’aura fallu qu’une déclaration opportuniste de Bill de Blasio pour que son chargé de comm' russe rechute dans la fakenews trompeuse et manipulatoire.
Le vapotage est-il un complot américain contre la Chine?
Cependant, la déclaration du maire de New Yok n’est pas l’origine première de la rumeur. En réalité, la légende urbaine prend sa source dans une théorie du complot incohérente née sur les réseaux sociaux chinois puis propagée par le régime pour se disculper de sa gestion de l’épidémie. En Chine, explique dès le 2 mars le site américain Foreign Policy, « il y a eu un désir net de détourner la colère contre la bureaucratie pour la diriger vers un ennemi extérieur. L’étape suivante de la campagne de propagande a consisté à nier que le virus ait commencé en Chine ».
« L’idée que le virus est en réalité originaire des États-Unis » a été diffusée ces dernières semaines pour sauver la thèse que le régime autoritaire chinois est le meilleur protecteur de la population, y compris face au coronavirus. Des théories du complot ont ainsi prospéré sur les réseaux sociaux, avant d’être reprises par des médias chinois y compris en anglais, tels que le College Daily.
Les Américains ont-ils caché être atteints du Covid-19 depuis l’été passé ?
Le Global Times, quotidien chinois en langue anglaise, donne le 2 mars une nouvelle dimension internationale à la campagne de propagande. Dans ses colonnes, le Dr Xiuyi Zhi, directeur du Centre du cancer du poumon de l’Hôpital de Pékin (BJU), explique soupçonner que la vague de pneumopathies du second semestre 2019 aux États-Unis, liées à des produits frelatés à l’acétate de vitamine E du marché noir du THC, serait peut-être des cas de coronavirus.
« Xiuyi Zhi, également vice-président de l’Association chinoise de lutte contre le tabagisme, a remis en question les cas de mort subite de vapotage, laissant entendre qu’il pourrait y avoir d’autres causes. Il a dit qu’il est possible que ceux qui sont morts du vapotage puissent également être affectés par la grippe ou le coronavirus et il a appelé à des études », relate le Global Times. L’imagination a ses secrets que la rationalité a parfois des difficultés à percer. Mais ce ne sont pas les incohérences de la théorie qui peuvent effrayer les propagandistes anti-réduction des risques aux États-Unis. Ils en ont fait d’autres.
La fakenews traverse le pacifique
Hôte prédestiné à l’infection de fakenews, le fraudeur Stanton Glantz. Le Californien estimait par exemple, dans un article rétracté par le Journal of American Heart Association (JAHA), que les crises cardiaques qui se sont produites chez des personnes avant qu’elles ne vapotent sont tout de même causées par le vapotage. Une théorie où l’effet précède la cause imaginaire.
Sans surprise, Stanton Glantz a donc repris la fakenews à sa sauce avec pour soutien des études douteuses sur des souris. Puis celle-ci a atteint le maire de New York Bill de Blasio. Déclaration dont le responsable des relations externes de l’OMS Alexey Kulikov s’est emparé pour tenter de lui donner l’allure de pandémie à travers les réseaux sociaux et les messageries privées.
En réalité, rien
« À propos du vapotage et du coronavirus, c’est tout ce que je peux dire, c’est-à-dire rien. Nous n’avons aucune preuve sur la façon dont l’utilisation du vapotage affecte l’infectiosité des coronavirus et la progression de la maladie », réagit lundi le Dr Konstantinos Farsalinos, cardiologue au Centre Onassis d’Athènes.
Sur son blog, l’expert renommé du sujet du vapotage rappelle que le propylène glycol, un des principaux composants des liquides de vapotage, est bien connu pour ses vertus bactéricides et antivirales. « Il faut préciser que les études ne suggèrent aucun effet du propylène glycol sur la souche particulière de coronavirus (COVID-19) qui est liée à l’épidémie mondiale ».
Viralité infauxdémique
Nul besoin d’être politologue chevronné pour voir l’usage éminemment politicien et opportuniste du bidonnage par les différents protagonistes. Régime chinois cherchant un bouc émissaire externe, fraudeur anti-réduction des risques répandant son habituel rideau de fumée, figure démocrate accentuant la pression sur la présidence Trump à quelques mois des élections et un ex-attaché du Consulat de Russie profitant de son poste à l’OMS pour souffler sur les braises.
Le vapotage, la santé publique et même le coronavirus n’ont pas grand-chose à voir avec la trajectoire de cette infodémie. Cependant, à l’heure où les services hospitaliers sont débordés et que des professionnels de santé, comme en Italie, encouragent l’abandon de soin pour certains types de patients, prenons garde que cette farce ridicule ne soit pas un prélude à l’exclusion du droit aux soins des vapoteurs.
*Annexe : Et concernant le tabagisme ?
Bill de Blasio et Fraudster Glantz amalgament tous deux vapotage et tabagisme comme facteurs de risques aggravants les infections du coronavirus. Auparavant la rumeur inverse, attribuant un effet protecteur au tabagisme avait circulé de la même manière sur internet. En réalité, même si sur le tabagisme il existe des données, elles sont totalement insuffisantes à l’heure actuelle pour dire quelque chose de sérieux et en tirer une analyse robuste.
Par exemple, l’étude publiée dans le New England Journal of Medicine (NEJM) sur 1099 malades chinois montre un taux de fumeurs infectés de 12,6 %. Bien moins que les 29 % attendus selon les taux de tabagisme de la population en général. Ceci n’a pas empêché, en passant sous silence cet élément fondamental, l’Alliance contre le tabac en France de communiquer sur le fait que parmi les infectés, les fumeurs sont plus susceptibles de présenter des formes plus sévères d’atteintes. 14 % des non-fumeurs ont une atteinte sévère contre 21 % parmi les fumeurs, tandis que les formes très sévères touchent 5 % des non-fumeurs infectés contre 12 % des fumeurs détectés.
Mais il me semble assez évident qu’une confusion a pu se glisser. On peut par exemple supposer un biais d’autosélection où les fumeurs atteints de formes légères ne distinguant pas le symptôme de la toux du coronavirus de leur habituelle toux du fumeur ne sont pas allés se faire ausculter passant sous le radar de la détection. Ceci pourrait expliquer à la fois le faible ratio de fumeurs détectés avec le coronavirus et la part plus importante de forme sévère chez ceux-ci. Ce n’est qu’une hypothèse. Tirer des conclusions hâtives sur ces chiffres est du vent sans la moindre rigueur.
Propagande contre-productive
Puisqu’en définitive il ne s’agit que de propagande, je doute de cet usage opportuniste pour inciter les fumeurs à quitter la cigarette. Les antitabac vivent dans un monde en noir et blanc où ils s’opposent au Démon, dont les fumeurs sont possédés. Les aspects des dynamiques de changement, des risques d’apprentissage de l’impuissance par la répétition d’échecs, etc. sont des domaines humains qui ne les intéressent pas. Dans la vision du monde antitabac, le fumeur tient le rôle d’un aliéné vidé de sa consistance humaine.
Pourtant du côté de l’addictologie où les approches sont plus sensibles, subtiles et holistiques, le rôle des angoisses et peurs comme environnements psychologiques propices aux addictions ou usages problématiques est connu. Terroriser les fumeurs avec le coronavirus a peu de chance d’avoir d’effet positif massif sur les arrêts tabagiques consolidés à long terme. Et cette approche manipulatrice, et plutôt perverse en angoissant artificiellement le public ciblé, illustre un faible niveau de respect des personnes.
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