Retournement à Genève: Mauro Poggia promet que les vapeshops pourront faire tester leurs produits

« Il faudrait être d’une totale mauvaise foi pour dire qu’il faut acheter les yeux fermés ». Promesse inattendue de Mauro Poggia. Hier soir à l’émission A bon entendeur de la RTS (accessible en replay, à partir de 22e mn), le Conseiller d’État s’est engagé à ce que les magasins de vape genevois puissent faire essayer leurs produits aux clients adultes. Sa loi prévoit pourtant l’interdiction du vapotage dans tout espace public. Face à lui, Isabelle Pasini, de l’Association romande des professionnels de vape, se réjouit. Puis, surprise, demande comment cela va se passer légalement. « Dans le règlement d’application, c’est possible? ». « On peut le prévoir, mais il me semble évident qu’on doit pouvoir tester un produit avant de l’acheter », répond le Conseiller d’État, sans préciser le point légal. 

« Nous sommes prêts à encourager les fumeurs à passer au vapotage »

Qu’est-ce qu’il en sera pour les groupes d’entraide autogérés? Personne ne le sait. Pourtant, Mauro Poggia s’est enthousiasmé. « Si vous voulez proposer des produits de vapotage à de grands fumeurs, et bien bravo! », adresse-t-il à Isabelle Pasini, qui le fait depuis plus de cinq ans dans ses magasins à Genève. « Nous sommes prêts à encourager qu’un grand fumeur passe à la cigarette électronique. Je pense qu’on doit applaudir. Je crois a priori que c’est une bonne chose et même les scientifiques le reconnaissent », renchérit le Conseiller d’État.

Il a pourtant rédigé un texte de loi qui nous avait semblé rendre presque impossible le développement de l’approche de réduction des risques. C’est ce qu’avait aussi compris Malik Melihi, le présentateur de l’émission. « L’idée générale c’est de considérer la cigarette électronique comme une cigarette classique, et on peut mettre tous ces produits dans la même loi et lui faire subir les mêmes rigueurs, c’est juste? » « Non, pas exactement », rétorque énigmatiquement Mauro Poggia. 

« La règle principale qui est le fondement de cette loi, c’est [l’interdiction de] la vente à des mineurs », insiste le Conseiller d’État. C’était l’antienne de toute l’émission: la peur du vapotage chez les jeunes. Bien que le seul témoignage déniché par A bon entendeur est celui d’un adolescent ayant arrêté de fumer avec le vapotage. Ce n’est pas tout à fait l’effet du hasard. Bien que passé sous silence dans l’émission, l’héritage tabagique de la politique romande actuelle a produit 25% des adolescents (15-18 ans), et 38% de jeunes adultes (18-24 ans) fumeurs. Rien ne leur est proposé d’autre que le discours de l’abstinence.

L’émission a rappelé les chiffres d’Addiction Suisse (ex-ligue de tempérance) sur l’essai du vapotage chez les adolescents annoncé à 50 % des garçons et 34 % des filles. Mais sans évoquer ceux de l’Office fédéral de la statistique (OFS). « Selon l’Enquête Suisse sur la Santé, réalisée par l’Office Fédéral de la Statistique, 1,5 % des jeunes de 15 ans utilisaient des e-cigarettes en Suisse en 2017 », rapporte le fil de news de Stop-Tabac.ch du 11 février rédigé par le Pr Jean-François Etter. Ce qui fait un très grand écart des mesures entre la fondation privée, qui s’est intéressée à l’expérimentation y compris sans nicotine pour la qualifier de « fléau », et l’OFS, dont la question implique l’idée d’utilisation...

Mystère politique

Qu’est-ce qui a fait prendre conscience à Mauro Poggia des conséquences absurdes de sa loi interdisant aux fumeurs adultes d’essayer le vapotage? Mystère des coulisses politiciennes. En Commission du Grand Conseil, où le Conseiller d’État n’avait pas jugé utile d’être présent, Isabelle Pasini avait insisté sur ce point, pour rien. Il semble que la menace du référendum déposé par l’Association romande des professionnels de vape a été plus efficace pour être entendu.

[Edit à 12h:] L'ARPV, qui ne m'envoie pas ses communiqués de presse (:/), annonce avoir recueilli les signatures suffisantes, au moins 5294 valides, pour présenter le référendum. L’ARPV «se félicite de ce premier succès, obtenu grâce à l’engagement de ses membres sur le terrain, dans les magasins spécialisés et dans la rue, mais aussi grâce au soutien de consommateurs convaincus du bien-fondé des produits de vapotage comme solution pour arrêter de fumer. Grâce à ce référendum, un vaste débat démocratique va pouvoir s’engager sur la cohérence des politiques de santé publique et de prévention du tabagisme», selon le site de la Tribune de Genève

On peut se réjouir de l'annonce du Conseiller d'Etat, sous réserve de voir les modalités concrètes. Et rester un peu interloqué du temps perdu. L'aboutissement de la récolte de signatures met évidemment l'association romande des professionnels de vape dans une situation plus confortable pour négocier les modalités avec l'Exécutif genevois. [/]

Jacques Cornuz explique le problème américain

En marge de cette annonce, on peut signaler deux séquences intéressantes dans l’émission. Le Pr Jacques Cornuz, du CHUV, explique à partir de la 2e minute clairement que la vague de pneumopathies aux États-Unis est liée à des produits de THC frelatés à l’acétate de vitamine E. (Même si cet ajout n’est pas « pour mieux vapoter », comme le dit le Pr Cornuz, mais pour tromper les clients sur le taux de THC des cartouches vendues. On excusera, le Pr Cornuz n’a pas forcément l’expérience du marché noir...).

Un autre moment sympathique est la présentation de la fabrication de nicotine vapologique par la marque française VDLV à Bordeaux à partir de la minute 18'10. Un développement économique de la filière de réduction des risques qui tente le pari de la relocalisation, avec des implications sociales et écologiques qui mériteraient développement en ces temps de pandémie, crise sociale et écologique.

Bullshit de Fribourg

Je ne vais pas prendre la peine de commenter en détail la séquence de la responsable du Cipret Fribourg à propos du snus. Simplement rappeler que la Food and Drug Administration (FDA) américaine a accordé, pour la première fois, le statut de produit à risque réduit aux produits de Snus de la marque Swedish Match en novembre. Ce label a été accordé après un examen scientifique de cinq ans. Le fabricant peut afficher cet avertissement:
« L’utilisation de General Snus au lieu de cigarettes vous expose à un risque plus faible de cancer de la bouche, de maladie cardiaque, de cancer du poumon, d’accident vasculaire cérébral, d’emphysème et de bronchite chronique. »
La Suède où environ 17 % de la population adulte consomme du snus, mais avec seulement 5 % de fumeurs, détient les plus bas taux de cancers oraux-buccaux et des poumons, selon les données du Centre international de recherche sur le cancer (IARC). Les témoignages dans l’émission d’utilisateurs sur le fort potentiel dépendogène du snus sont justes.

Les photos d’atteintes à la bouche présentées dans l’émission me semblent typiques de l’usage des horribles produits de tabac oraux indiens (gupka, etc.) qui n’ont rien à voir avec le snus.

L'Inde où le vapotage est interdit depuis septembre, tandis que 120 millions d'indiens consomment des produits du tabac oraux ou fumés. Près d'un million en meurt chaque année. Le gouvernement, dont Vinayak Prasad, aujourd'hui à l'OMS était un haut-fonctionnaire, détient une part du capital des deux principaux cigarettiers du pays. Ceci et le fait que le rapport anti-vape de Vinayak Prasad a été financé par l'entreprise Bloomberg Philanthropies Limited, dont les comptes sont totalement opaques, aurait été des précisions utiles au téléspectateur pour situer la parole du responsable interviewé.


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