Tribune au Monde : les antivapes tentent le coup du "premier pas" au prétexte d'interdire les puffs en France

Depuis le 9 décembre, les trois instances dirigeantes de l’Union européenne (UE), à savoir le Conseil, le Parlement et la Commission, se sont entendues sur la directive des batteries obligeant à ne mettre sur le marché que des objets portables à batteries amovibles d’ici 2026. Cette directive interdira de facto les « puffs » et autres vapes jetables. Pourtant vingt « personnalités », selon le terme choisi du Monde qui publie leur tribune, exigent leur interdiction en France. On y retrouve les bonzes de l’Alliance contre le tabac (ACT), du Comité national contre le tabagisme (CNCT) et de DNF (dont le nom change en permanence)*. En bref, le noyau ultra des antivapes qui a réussi à attirer quelques autres signataires.
 
*Note : Étant donné que le CNCT finance des poursuites judiciaires privées contre des blogs favorables à la réduction des risques, je ne mentionne aucun nom pour éviter le risque de procédure bâillon. Que le lecteur veuille bien m’excuser de cette lacune contrainte. 

Nuage de poussière

Les auteurs de la tribune ne connaissent-ils pas la décision européenne sur les batteries lithium ou font-ils mine de l’ignorer ? Parmi les signataires embarqués, les surfeurs écologistes de Surfrider sont peut-être un peu dépassés par le chassé-croisé législatif entre sphère nationale et européenne sur le sujet. Par contre, de la part de personnalités présentées comme la crème de la santé publique du pays, l’erreur est plus troublante. D’autant plus lorsque le texte se réfère au projet allemand d’interdiction qui ne concerne que l’impact écologique des jetables. 

Un air de Don Quichotte, livrant un combat déjà acquis contre un moulin à vent en soulevant des nuages de poussière dans sa cavalcade, plane sur la publication du Monde. Mais derrière cet air chevaleresque absurde, les objectifs réels des instigateurs antivapes de cette tribune pourraient se révéler plus retors.

Deux lignes argumentatives accompagnent l’exigence d’interdiction des jetables. L’une écologique, contre la pollution générée par les jetables et en particulier par leurs batteries au lithium, souffre peu de contestation possible. C’est d’ailleurs la raison de l’article 11 de la nouvelle directive européenne sur les batteries. On pourrait au plus modérer l’ampleur de la pollution attribuée aux puffs en regard des autres batteries au lithium gâchées plus discrètement. Cependant, le peu de responsabilités écologiques, dont les fabricants et distributeurs de jetables ont fait preuve sans être rattrapés par le comportement des consommateurs, a miné par avance toute tentative de défense.

Les puffs et la stratégie du pied dans la porte

La seconde ligne argumentative profite de la tribune contre les puffs pour introduire un ensemble d’affirmations contre le vapotage et la réduction des risques en général. C’est moins la puff qui est visée, que les caractéristiques de la vape : les arômes, le prix et la simplicité technique qui la rendent « particulièrement facile d’accès et d’utilisation » aux yeux des auteurs. Derrière la cible puff, les instigateurs de la tribune profilent ainsi leurs prochains objectifs antivapes : interdiction des arômes, surtaxe, interdiction des sels de nicotine, imposition de contraintes techniques pour éliminer la maitrise de l’appareil par l’utilisateur.

La puff sert de prétexte dans une approche dite du « pied dans la porte » ou du « premier pas ». Cette stratégie, étudiée en psychologie sociale, consiste à faire une première demande peu coûteuse pour engager le protagoniste, qui est alors plus enclin à accepter les pas suivants. La stratégie des antivapes à l’origine de la tribune est d’engager une majorité d'élus français dans une interdiction des puffs, en prélude à d’autres mesures de répression et d’interdiction contre le vapotage et la réduction des risques. Il suffit de lire le programme du CNCT contre la vape pour saisir le rôle de cette tribune dans leur agenda.

L’escalade de l’engagement

Une fois que les députés auront voté cette première interdiction, simple à prendre puisqu’elle est déjà actée au niveau européen, en voter d’autres pour interdire les arômes, imposer une surtaxe punitive, mettre des restrictions techniques, etc., leur apparaitra comme une suite logique validant leur première décision. Pourquoi ne pas interdire tous les arômes de vape, si on a déjà interdit la puff à cause des arômes ?

Dans la tribune du Monde, le noyau de cette ligne argumentative superpose au problème de pollution, un prétendu danger des puffs pour les adolescents. Un risque si fort qu’il justifierait leur interdiction aux adultes, contrairement aux cigarettes dont les signataires ne demandent pas la prohibition. L’objectif stratégique des antivapes est ainsi d’obtenir une première prohibition d’un produit de réduction des risques en le faisant passer pour un grave danger. Une fois acquis ce retournement, d'un produit de réduction des risques à un grave danger, l’escalade d’engagement vers d’autres interdictions, restrictions, mesures de répression contre les produits de réduction des risques suivra pour ainsi dire « naturellement ».

Interdire ce qui est déjà interdit

Cependant, l’inconsistance logique de la tribune se montre dès ses premières lignes. Elle reconnait que la puff est déjà interdite aux mineurs. Et pourtant, « la puff est de plus en plus répandue auprès des collégiens et lycéens », ajoute le texte. Ah. Si c’était le cas alors cela signifierait que l’interdiction ne fonctionne pas, non ? L’argument est autocontradictoire. 

En quoi interdire ce qui est déjà interdit aux adolescents pourrait avoir un effet sur leur absence de respect de cette interdiction ? À défaut de logique, l’exemple concret de l’omniprésence du cannabis dans les lycées en France, malgré sa prohibition et sa répression, aurait peut-être pu déclencher un début de réflexion chez les « personnalités » de santé publique signataires de la tribune. Visiblement, ce n’est pas le cas. 

Interdire aux adultes un produit à risque réduit qui concurrence un produit très nocif, sans demander l’interdiction de celui-ci, ne fait pas preuve de beaucoup plus de logique. Cependant, le texte n’appelle pas à la raison et encore moins à l’élaboration rationnelle d’une politique. Le registre est celui des peurs - « fléau », « piège sournois », « risque majeur » - et leur mot d’ordre l’urgence de décider sans réfléchir - « interdire d’urgence » -. C’est un discours de manipulation émotionnelle qui interdit de réfléchir avant même d’interdire les puffs.

Les oublis de l’Alliance contre le tabac (ACT)

Même en acceptant l’incohérence de l’exigence des signataires, encore faut-il les croire quasiment sur parole à propos du « danger » des puffs. Leur alerte s’appuie essentiellement sur un sondage BVA commandé par l’Alliance contre le Tabac, organisation sous la mainmise du CNCT. Le nombre de sondés n’a jamais été précisé dans les communications grand public depuis sa publication en octobre dernier. Ce chiffre est 400. BVA a sondé l’opinion de 400 jeunes de 13 à 16 ans, dont 29 % de lycéens. 

Près de 46 % des 400 jeunes sondés ont au moins un parent fumeur, 19 % ont leurs deux parents qui fument. Cette proportion constitue une surreprésentation, d’environ 30 %, des enfants de parents fumeurs par rapport à la population générale. BVA a l’honnêteté de signaler dans son compte-rendu que le tabagisme parental a une forte incidence sur les résultats concernant l’expérimentation des divers produits nicotinés. Les taux d’expérimentation des divers produits est multiplié grosso modo par plus de 1,5 avec un parent fumeur, et par près de 2,5 fois lorsque les deux parents fument. La surreprésentation des enfants de fumeurs influe donc les résultats du sondage. L’ACT a passé sous silence ces éléments dans sa communication sur le sondage.

Le tabou : aider les parents à arrêter de fumer réduit le tabagisme adolescent

Mettre en lumière un facteur de risque tel que le rôle du tabagisme parental est évidemment une manière d’approcher la question sous un autre angle que la théorie mécanique de la passerelle. L’approche, dite des caractéristiques de responsabilité communes, prend en compte les profils psychologiques et sociaux des jeunes, pour distinguer les facteurs de propensions à faire ou essayer des choses. Cette approche invite à intervenir sur des éléments d’environnement, d’aide à la construction de soi, de communication positive. En bref, faire réellement de la politique de santé publique. C’est plus compliqué que de gesticuler en hurlant à l’interdiction.

Le facteur de l’influence du tabagisme parental sur les adolescents invite à agir en aidant les parents à arrêter de fumer pour éviter que leurs enfants ne les imitent. Contrairement à la rhétorique opposant l’intérêt des enfants à celui des parents, l’arrêt tabagique adulte favorise la réduction du tabagisme adolescent. C’est un axe d’intervention que les pontes antivapes de la santé publique française refusent d’envisager. Cet angle pourrait ouvrir la porte à une approche de réduction des risques pour aider les fumeurs de tous âges à sortir du tabagisme.

Dans le sondage de l’ACT, il y a 5 % d’utilisateurs occasionnels de puff

Parmi les 400 jeunes sondés, vingt jeunes (5 %) déclarent utiliser une puff « de temps en temps ». Mais l’ACT ne communique pas ce chiffre. L’organisation antivape y ajoute les huit jeunes (2 %) qui disent ne plus l’utiliser et les vingt-quatre (6 %) qui déclarent l’avoir juste essayé « une fois ou deux ». Les auteurs de la tribune arrivent ainsi à déclarer que « plus de 13 % des adolescents en France révélaient l’avoir déjà utilisée ». Ça claque plus pour enchainer sur le registre apocalyptique du « fléau ». Plus que de noter qu’aucun ne déclare l’utiliser régulièrement.

Les signataires de la tribune insistent sur le risque « de forte dépendance » induit par les puffs à cause de leur teneur en nicotine. Cependant, très bizarrement, le sondage BVA pour l’ACT ne présente aucune donnée sur l’usage ou non de nicotine par les sondés, que ce soit avec les puffs ou le vapotage classique. Je suis surpris que cette organisation, si obsédée par la dépendance à la nicotine, n’ait pas pensé à poser cette question aux jeunes sondés. En l’absence de donnée, rien ne permet d’affirmer que les 20 jeunes, ou combien parmi eux, qui utilisent de « temps en temps » une puff le font avec ou sans nicotine. Autrement dit, ce sondage n'offre aucune base à l'affirmation des auteurs de la tribune de ce risque de dépendance nicotinique.

Combien ont arrêté de fumer après avoir essayé la puff ?

Par contre, l’ACT insiste, dans sa communication, sur les 17 % de jeunes ayant essayé la puff puis essayé de fumer, comme une sorte de preuve de l’effet passerelle. Ce sont 17 % de 13 % des 400 jeunes sondés. Derrière les pourcentages présentés, le chiffre brut concerne huit jeunes ayant déclaré avoir essayé la puff puis essayé de fumer. Un nombre si faible qu’il ne serait jamais publié sous forme de pourcentage dans une publication sérieuse. A la lecture du sondage, on ne sait pas combien de ces huit jeunes ont été au-delà de l’essai de la cigarette.

D’autre part, une autre donnée est passée sous silence par l’ACT : 35 jeunes sondés déclarent avoir fumé puis avoir essayé la puff. Combien parmi eux ont arrêté de fumer après avoir essayé la puff ? Oh surprise. Cette donnée n’est pas non plus publiée dans le compte-rendu du sondage. En fait, il y a nettement plus de jeunes fumeurs (35) ayant ensuite essayé la puff, que l’inverse (8). L’ACT met en avant le point qui présente défavorablement la puff et masque celui qui pourrait indiquer une sortie du tabagisme à l'aide de la puff. Dans un cas comme dans l'autre, les données sont trop faibles et pas assez détaillées pour constituer des preuves. Une communication honnête aurait cependant présenté les deux éléments.

« La cigarette reste globalement le premier produit du tabac consommé », précise tout de même BVA. Évidemment cela n’a pas non plus été repris par la communication de l’ACT. En bref, un sondage d’opinion a des limites pour appréhender une problématique épidémiologique, celui-ci d’autant plus qu’il est mené sur un panel très faible de jeunes. Il présente une surreprésentation d’enfants de fumeurs, ce qui a une incidence sur les résultats. Ces résultats ont été présentés de manière biaisée, lacunaire, inconsistante et déloyale par l’Alliance contre le tabac. Il serait totalement irresponsable de s’appuyer sur ça pour prendre une décision politique impactant des millions de personnes.

La baisse accélérée du tabagisme adolescent révoque la théorie de l’effet passerelle

Cependant, les signataires de la tribune au Monde prétendent que les récents résultats de l’enquête de l’OFDT confirment leur propos. En fait, ils confirment une hausse du vapotage chez les adolescents, mais accompagnée d’une chute sans précédent du tabagisme. À l’opposé du propos des auteurs de la tribune, ces données invalident complètement l’existence d’un effet passerelle, dans lequel la vape pousserait les jeunes à devenir fumeurs. Je ne vois pas comment ils peuvent estimer que ces données confirment leur théorie.

Cette enquête de l’OFDT auprès de plus de 23 000 jeunes de 17 ans a dénombré un taux de vapotage quotidien de 6,2 %, en augmentation par rapport à 2017 où il était à 1,9 %. Contre 15,6 % de fumeurs quotidiens. Ce qui reste malheureusement élevé, mais heureusement en baisse très accélérée depuis 2014 et l’essor de la vape. Les adolescents de 17 ans étaient encore 25,1 % à fumer au quotidien en 2017, et 32,4 % en 2014. Cette dégringolade de 10 points de pourcentage de fumeurs quotidiens depuis 2017, de près de 17 ppts depuis 2014, est compatible avec un effet où la vape détourne les adolescents du tabagisme. 

Science 101 : la falsifiabilité d’une théorie

Par contre, la baisse accélérée du tabagisme des adolescents mesurée par l’OFDT n’est pas compatible avec un effet passerelle qui les amènerait à fumer. Si c’était le cas, le tabagisme aurait augmenté ou au moins ralenti sa baisse. Il se passe le contraire, le tabagisme adolescent dégringole depuis 2014. Il est à noter que l’Académie de Médecine a elle-même donné ce critère de falsifiabilité à sa thèse de l’effet passerelle en février. Il reste aux académiciens à se pencher sur leur propre critère et rétracter leur papier incohérent.

À ce jour, l’OFDT n’a pas publié de données accessibles plus détaillées qui permettraient d’analyser les relations entre vapotage et tabagisme sur l’enquête 2022. Cependant, l’OFDT avait montré une réduction de 40 % du risque de tabagisme chez les adolescents ayant essayé le vapotage en premier par rapport aux autres jeunes dans l’échantillon de ce suivi en 2017. 

Même aux États-Unis, les faits sont têtus

En résumé, on ne peut pas être totalement certain d’un effet de détournement de la vape contre le tabagisme chez les jeunes. Par contre, les données ne laissent aucun doute sur le fait qu’il n’y a pas d’effet de passerelle de dimension collective de la vape vers le tabagisme. Cette théorie est incompatible avec l’évolution réelle du tabagisme adolescent et des jeunes adultes. La théorie de la passerelle est à l’addictologie ce que la théorie de la terre plate est à la cosmogonie : une théorie fantasque qui s’écrase sur le réel.

Ce constat n’est d’ailleurs pas seulement français. Aux États-Unis par exemple, un éditorial du 27 mars dernier de la Pr Christine Delnevo dans la revue JAMA le rappelle : « Collectivement, les inquiétudes concernant un effet passerelle et une augmentation potentielle de la consommation de cigarettes chez les jeunes suite à l’introduction du vapotage sur le marché américain ne sont pas étayées par les données ».

Les conservateurs tabagiques

Alors que reste-t-il à nos antivapes ? La tendance au conservatisme et la perte de logique sous l’effet de la peur qu’ils induisent. C’est une vieille inclinaison humaine de préférer le connu au nouveau. En l’occurrence, un conservatisme tabagique privilégiant la cigarette et ses méfaits morbides bien connus plutôt que le vapotage et sa réduction des risques mal connue et dénigrée par des campagnes telles que celle-ci. C’est un avantage conséquent pour les signataires de la tribune, d’autant plus auprès d’élus politiques dont l’intérêt à jouer un rôle « protecteur » envers le public est évident, a fortiori dans une période aussi anxiogène.

De l’interdiction des puffs à l’interdiction des arômes, avant l’interdiction des réservoirs rechargeables, un coup de surtaxe entretemps, une interdiction des sels de nicotine, pour finir avec un produit aseptisé, uniformisé et inefficace. La route tracée pour broyer la réduction des risques quitte à conserver le tabagisme est claire : la tribune coche tous les éléments ciblés. Il est probable que ce nouveau coup médiatico-politicien des antivapes soit payant dans leur stratégie de diabolisation de la réduction des risques. 

Quels seraient les effets de l’interdiction des jetables ? Auprès des adolescents, à peu près nuls. Ils passent déjà par des canaux illicites. Par contre ces canaux pourraient avoir de nouveaux clients majeurs. D’autant plus si d’autres mesures répressives, telles qu’une interdiction des arômes autres que « tabac » et une surtaxe, étranglent le marché légal du vapotage. Ce qui ferait prospérer et se développer le marché noir, ou d’autres astuces de contournement forcément plus risquées que la vape régulée. C’est comme ça que les prohibitions génèrent systématiquement des marchés mafieux. C’est la seule perspective qu’offre le programme des antivapes.

Références :


Commentaires

  1. Merci pour cet article , et bravo , vive la vape

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  2. Vapoteur depuis 10 ans et bien les puff je les interdirais!

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