Genève: le projet de loi qui tuerait l'entraide à l'arrêt du tabac et les vapeshops va t-il passer en silence?
Assimilés au tabac, interdits d'être visibles depuis la rue, prohibés d'usage dans les lieux publics et interdits de publicité. C'est le sort qui attend les produits de vapotage, y compris sans nicotine, à Genève si le projet de loi 12385 (PL 12385) est adopté tel quel. Déposé fin août par le Conseil d'Etat genevois et actuellement aux mains de la Commission Economie du Grand Conseil, il annonce légiférer sur l'âge limite de vente des produits du tabac et la vente d'alcool. Actuellement, Genève est un des cantons où les cigarettes peuvent se vendre légalement aux mineurs, la Confédération n'ayant pas de limite d'âge minimal. Combler cette lacune législative ahurissante en fixant un âge minimum de 18 ans parait de prime abord une bonne nouvelle.
Un projet de loi anti-vape caché derrière la restriction de vente du tabac
Cependant, les justifications de la nouvelle loi du Conseiller d'Etat Mauro Poggia nous avait déjà un peu surpris puisqu'il évoquait plus la peur de l'arrivée du vapotage et du cannabis light que du tabagisme établi et stagnant en Suisse, y compris chez les jeunes. A la lecture du projet, on comprend mieux. Derrière l'annonce de la limitation de vente du tabac se cache un arsenal qui aurait toutes les chances d'éliminer les boutiques spécialisées de vapotage, interdirait de facto l'entraide à l'arrêt du tabac avec le vapotage et assimilerait les vapoteurs aux fumeurs.
L'article 4 §3 stipule que "sont considérés comme des produits assimilés au tabac: a) (...) le cannabis légal (...) b) les cigarettes électroniques, présentant un dispositif utilisé sans tabac et permettant d'inhaler de la vapeur obtenue par chauffage d'un liquide avec ou sans nicotine, ainsi que les flacons de recharge et les cartouches pour ce dispositif" [notre emphase]. A partir de ce postulat, toutes les restrictions concernant la vente de cigarette s'appliquent à la vente de vapotage. Nécessité d'avoir une autorisation, interdiction de visibilité des produits depuis la rue et interdiction de vente aux mineurs avec achat-test pour débusquer les fraudeurs, etc.
Interdit d'essayer et d'expliquer le vapotage
L'intention de tuer la possibilité d'utiliser le vapotage contre le tabagisme comme aide à la réduction des risques se précise dans les modifications des autres lois, à l'article 23 du PL 12385. Allant au-delà de son objet et de son champ d'application, celui-ci veut aussi transformer les lois sur la santé concernant l'interdiction de publicité (K 1 03) et sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics (K 1 18) pour y inclure le vapotage.
Si le projet était accepté tel quel, il serait interdit de vapoter dans tous lieux publics à Genève, y compris les vapeshops ou lors de réunions d'entraide à l'arrêt du tabac avec le vapotage. La publicité ou des actions de sensibilisation à la réduction des risques sur le sujet seraient de facto interdits. Pour qui n'est pas naïf sur ce dossier, c'est bien là un des objectifs principaux des instigateurs en coulisse du projet de loi.
Reportage sur le vapotage en partie à Genève de Zoe Decker pour l'émission 15 Minutes radio RTS fin 2017
Reportage sur le vapotage en partie à Genève de Zoe Decker pour l'émission 15 Minutes radio RTS fin 2017
L'assassinat de l'entraide et de la réduction des risques
Ce serait à court terme, la plus que probable disparition de ces centres stop-tabac d'un genre nouveau que sont les boutiques spécialisées. La possibilité d'expliquer en pratique l'usage et de faire essayer matériel et liquides aux clients les distingue des kiosques à cigarettes. Leur expertise serait de fait bâillonnée par ces mesures. Sans instruction pratique, les usagers, en particulier les néophytes, courront plus de risques d'accident par mésusages.
Et surtout beaucoup plus de risques d'échecs à l'arrêt ou de rechutes dans le tabagisme, interdits qu'ils seront de choisir en testant les liquides adéquats, d'être initiés aux particularités du vapotage et de l'usage des appareils. En résumé, privés d'apprendre les bonnes pratiques. Ce problème se pose aussi évidemment à toutes les démarches d'aide à l'arrêt tabagique avec le vapotage. Qu'elles soient autogérées ou encadrées par des professionnels de santé comme actuellement dans la recherche ESTxENDS. L'interdiction de vapoter ajoute également un handicap aux déjà plutôt difficiles tentatives d'arrêt tabagique des fumeurs: l'assimilation de la nicotine par vapotage étant nettement plus lente que par la fumée, la vape nécessite un autre timing de prises que les pauses cigarettes.
Incohérences fumeuses
Difficile de saisir éthiquement pour quelles raisons, l'Etat de Genève soutient officiellement la distribution expérimental de cannabis avec THC aux mineurs d'un côté, mais leur refuse de l'autre d'éviter d'en consommer en leur laissant l'accès à du cannabis presque sans THC, et a fortiori de le vapoter sans les toxiques de la fumée. De même, les plus de 25% d'adolescents fumeurs seront privés de pouvoir arrêter ou d'éviter de fumer à l'aide du vapotage avec ou sans nicotine. Même leurs parents ou des médecins seront interdits de les aider de cette manière. Faut-il abandonner les jeunes aux produits plus risqués pour ensuite leur accorder le droit à une aide et à la réduction des risques? Avec près de 40% de jeunes de 18 à 25 ans fumeurs, Genève mériterait de renouveler les principes de son approche.
L'absence de réflexion sur les conséquences du projet de loi contre la réduction des risques que ce soit pour les jeunes et les adultes, non seulement par rapport au tabagisme mais également sur le volet du cannabis à faible taux de THC, est troublant. Son argumentaire ne répond ni aux grandes lignes de la stratégie nationale addictions 2017-2024, ni ne respecte les demandes du parlement de traiter de manière clairement différenciée le vapotage des produits du tabac. Une loi cantonale qui serait rapidement périmée par incompatibilité avec la prochaine législation fédérale, en plus de sembler surgir d'un autre siècle.
Protéger le tabagisme sans en avoir l'air
Genève est évidemment très sensible aux charmes fiscaux de la multinationale au grand bâtiment d'acier et de verre. Japan Tobacco (JTI) ne cache pas combattre l'exode vapologique de ses clients. La firme voit ses ventes de cigarettes dégringolées. En plus de campagnes de pub anti-vapoteurs en Allemagne, JTI a même mis sur le marché une vaporette conçue pour n'être qu'un produit de complément, visant "le double-usage" selon les termes de Jens Hermes-Cédileau son directeur Allemagne à EGarage. Comprenez, elle est si peu efficace et si peu dosée en nicotine, qu'il tient du miracle d'arrêter de fumer avec une Logic.
En entravant les dispensateurs éclairés de produits plus efficaces pour sortir du tabagisme, le projet de loi va donc satisfaire les lobbys du système tabac, pharma y compris, et de la grande distribution qui verront d'un bon œil la disparition plus que probable des vapeshops indépendants. Leur alliance cet été pour continuer de vendre des cigarettes en interdisant le vapotage aux adolescents ne laisse pas place au doute sur la question. Autant dire que peu d'intérêts économiques puissants vont s'opposer à ce pan du projet de loi genevois.
En entravant les dispensateurs éclairés de produits plus efficaces pour sortir du tabagisme, le projet de loi va donc satisfaire les lobbys du système tabac, pharma y compris, et de la grande distribution qui verront d'un bon œil la disparition plus que probable des vapeshops indépendants. Leur alliance cet été pour continuer de vendre des cigarettes en interdisant le vapotage aux adolescents ne laisse pas place au doute sur la question. Autant dire que peu d'intérêts économiques puissants vont s'opposer à ce pan du projet de loi genevois.
Commentaires
Enregistrer un commentaire