En intégrant plus de co-facteurs de risques, le lien statistique entre vape et tabagisme ultérieur chez les ados tend à disparaître
En intégrant plus de caractéristiques des jeunes Américains sondés dans l’évaluation, la relation entre leur vapotage initial et un éventuel tabagisme ultérieur tend à disparaître. Autrement dit, lorsque les chercheurs prennent en compte de plus de cofacteurs reconnus importants dans l’initiation au tabagisme, l’éventualité d’un rôle déterminant du vapotage s’amenuise. Le travail dirigé par la Pr Ruoyan Sun, de l’Université de l’Alabama, avec les Pr David Mendez et Kenneth Warner, a revisité les données américaines des cinq vagues de l’enquête Population Assessment of Tobacco and Health (PATH) de 2013 à 2019.
La comparaison, dans l’étude publiée en accès libre dans la revue Nicotine and Tobacco Research, entre quatre modèles tenant compte de plus ou moins de cofacteurs démontre l’impact sur les résultats de facteurs tels que le tabagisme des proches, notamment parental, de comportements à risque et de la susceptibilité au tabagisme des adolescents de 12 à 17 ans. D’autres éléments psychosociaux pourraient jouer un rôle, mais n’ont pas pu être intégrés à l’analyse.
« Nous avons mesuré que parmi les adolescents qui n’avaient jamais fumé, ceux qui ayant déjà utilisé au moins une fois des e-cigarettes au départ, par rapport à ceux qui n’en avaient jamais utilisé, ont présenté des augmentations modestes ou non significatives de l’expérimentation ou d’usage ultérieurs du tabagisme lorsque les données sont ajustées avec plus de cofacteurs de risque », résument les chercheurs.
Comme le précisent les auteurs, leur travail s’est concentré sur l’association statistique entre utilisation du vapotage et éventuel tabagisme chez les adolescents, mais pas la question aux dimensions de santé publique de l’impact de l’essor du vapotage sur le tabagisme chez les adolescents. Les deux questions sont fréquemment confondues dans les rapports, tels que le récent document du HCSP. Pourtant, les données épidémiologiques sont univoques sur le sujet : là où le vapotage s’est développé, le tabagisme adolescent a dégringolé comme jamais auparavant que ce soit aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en France.
Le fait qu’une part des jeunes qui vapotent se mettent à fumer ne prouve pas qu’ils n’auraient pas fumé sans accès au vapotage. Le vapotage n'a pas inventé le tabagisme juvénile, ni les facteurs psychosociaux qui amènent des jeunes à fumer. L'étude de la Pr Ruoyan Sun en montrant l’extrême sensibilité des évaluations de risque à des caractéristiques typiques que l’on rencontre chez les adolescents qui fument, désamorce la culpabilité attribuée au vapotage par les modèle rudimentaires utilisés jusqu'ici. Or, la part d'adolescents se mettant à fumer est, heureusement, plus en plus restreinte dans les pays où la vape a pu se faire une place.
Adolescents unidimensionnels versus humains complexes
Derrière les chiffres de l’analyse, un premier débat de fond sur la conception de l’humain et des causes de ses comportements dans les recherches se joue en filigrane. D’un côté, la vision dominante américaine d'une quasi unidimensionnalité de jeunes sans complexité avançant de manière automatique sur un escalier mécanique causal. De l’autre, une approche qui tente de modéliser la complexité des personnes, sachant que cette modélisation restera forcément imparfaite, prenant en compte les aspects personnels et l’environnement social pour tenter de saisir les nœuds les plus pertinents.
À la différence des études américaines précédentes sur la question de l’association entre vapotage initial et tabagisme ultérieur chez les adolescents, la recherche de la Pr Ruoyan Sun a pris en compte plus de cofacteurs de risques importants. « Nous avons associé les mesures des caractéristiques sociodémographiques, de l’exposition au tabagisme, de la susceptibilité au tabagisme et de facteurs de comportements à risque des adolescents n’ayant jamais fumé à la vague initiale avec leurs comportements tabagiques dans la vague suivante, un an après », expliquent les auteurs.
Comparaison de modèles d’évaluation
« Ces résultats offrent une nouvelle perspective empirique sur le débat visant à déterminer si l’utilisation de l’e-cigarette par les adolescents est associée à l’usage ultérieur de la cigarette », estiment les auteurs. Leur enthousiasme épistémique s’appuie sur leur comparaison entre les résultats par quatre modèles d’analyse statistique.
- Dans le modèle rudimentaire (model 1), les données n’étaient ajustées que par les variables sociodémographiques (genre, âge, phénotype, niveau éducatif des parents, revenus du foyer, niveau scolaire).
- Dans le modèle 2, des variables d’exposition au tabagisme ont été ajoutées (tabagisme parental, exposition à la fumée passive, tabagisme d’amis).
- Le modèle 3 intègre un facteur de susceptibilité au tabagisme, évalué à partir des réponses des jeunes à quatre questions concernant leur curiosité envers le tabac : s’ils imaginaient fumer bientôt ou dans l’année, et s’ils accepteraient de fumer en cas d’offre d’une cigarette.
- Enfin le modèle le plus complet (model 4) ajoute aux facteurs précédents, les comportements dits à risque (usages d’autres produits de tabac, alcool, cannabis).
« Nous avons démontré à l’aide des quatre modèles que chaque ajout de variables de facteurs de risque significatif ou l’inclusion de facteurs de risque logiques est importante pour interpréter l’association entre le vapotage chez les adolescents et le tabagisme ultérieur », insistent les auteurs.
Omettre des co-facteurs de risques fait porter le chapeau au vapotage
« L’omission de facteurs de risque potentiels importants (tels que la consommation de marijuana ou d’autres produits du tabac) pourrait expliquer les associations significatives entre l’utilisation de l’e-cigarette et tabagisme ultérieur, rapportées dans d’autres études ». Dans l’ensemble les résultats des études précédentes correspondent aux résultats obtenus avec les modèles 1 et 2, prenant en compte peu de cofacteurs de risques.
Cette observation rejoint le constat de la méta-analyse de l’Université du Queensland des graves lacunes méthodologiques de la plupart des études sur le soi-disant « effet passerelle ». Un point qui est resté incompris par le rapport SCHEER de la Commission européenne.
- Les résultats en prenant en compte le modèle 4 plus complet sur les cofacteurs de risques montre une association non significative pour les enquêtes les plus récentes entre l’expérimentation au moins une fois dans sa vie du vapotage à la vague initiale et avoir fumé au moins une fois dans l’année à la vague suivante. L’association varie dans un indice de confiance de 95 % entre 0,91 et 2,14, avec un odd ratio de 1,40 ; pour les vagues de 2016 et 2018 (4 et 4,5), et entre 0,84 et 2,16 avec un odd ratio de 1,35 pour les vagues 2017 et 2019.
- Le même calcul évaluant l’association entre expérimentation du vapotage et tabagisme dans le mois précédent l’enquête présente des liens encore plus faibles. Pour les deux paires de vagues les plus récentes, l’association dans un indice de confiance de 95 % varie de 0,57 à 2,16, avec un odd ratio de 1,11 pour la vague de 2016 à 2018, et entre 0,59 et 2,48, avec un odd ratio de 1,21, de 2017 à 2019.
La première étude a rapporté des résultats d’associations non significatifs
« Ajustée à un ensemble plus complet de cofacteurs de confusion, comprenant les caractéristiques sociodémographiques des adolescents, l’exposition au tabac, la susceptibilité au tabagisme et les facteurs de risque comportementaux, nous avons constaté que l’association entre l’utilisation antérieure au moins une fois de l’e-cigarette et le tabagisme ultérieur diminue sensiblement et devient même non significative dans certaines vagues, concernant à la fois le tabagisme au cours des 12 derniers mois et le tabagisme lors des 30 derniers jours comme résultats. Nous pensons qu’il s’agit de la première étude à rapporter des résultats non significatifs, probablement en raison de l’ensemble plus complet de variables de facteurs de risque que nous avons inclus », résument les auteurs.
Les auteurs notent qu’une étude précédente avait déjà trouvé une association non significative entre expérimentation du vapotage et tabagisme ultérieur en intégrant les facteurs de susceptibilité au tabagisme et d’usage de cannabis. Cependant, les auteurs, dont le gourou anti-réduction des risques Stanton Glantz, n’avaient pas « reconnu que la relation devenait non-significative » dans le narratif de l’étude.
Les analyses d’associations sont secondaires pour le débat de santé publique
Comme pour les autres études sur l’évaluation des associations entre vapotage et tabagisme ultérieur, cette évaluation ne doit pas être interprétée comme la mise en évidence d’une relation causale. « Tout d’abord, comme avec beaucoup d’autres échantillons, les données du PATH ne permettent pas d’examiner l’ordre chronologique des comportements à risque, rendant impossible d’identifier quelconque séquence causale ».« Même si cela était le cas », poursuivent les auteurs, » cela ne résoudrait pas le problème de causalité. Des cofacteurs non mesurés, tels que le type de personnalité particulier ou un trouble de santé mentale latent, peuvent affecter à la fois le vapotage et le tabagisme, provoquant l’expérimentation d’un jeune à un produit plus facilement disponible, plus pratique ou plus acceptable socialement ».
Sans le traiter plus en détail, c’est le second débat de fond mis en relief par les auteurs. Les évaluations des associations d’usages ne sont pas des mesures correctes de l’impact de santé publique pour l’ensemble des populations concernées. Puisque par définition, elles se concentrent sur les déjà utilisateurs dans un contexte, sans évaluer les contre-factuels, à savoir ce qui se serait passé dans d’autres scénarios, par exemple en l’absence de vapotage ou sous de fortes restrictions. Cela semble oublié dans le débat actuel, mais le tabagisme juvénile existait avant l’apparition du vapotage.
La question cruciale est l’effet concret en population
« La question cruciale concernant l’association entre le vapotage et le tabagisme n’est pas de savoir si l’utilisation de l’e-cigarette conduit à l’essai de la cigarette - la question sur laquelle pratiquement toutes les études se sont concentrées jusqu’à présent, y compris celle-ci - mais plutôt de savoir si la popularité du vapotage pourrait faire augmenter le tabagisme », soulignent la Pr Ruoyan Sun et ses collègues.
- « La relation inverse entre le vapotage et le tabagisme était robuste dans différents ensembles de données sur les jeunes et les jeunes adultes et pour le tabagisme actuel et établi. Bien que l’essai de vaporettes puisse augmenter le tabagisme chez certains jeunes, l’effet agrégé au niveau de la population semble être négligeable compte tenu de la réduction de l’initiation au tabagisme au cours de la période d’essor du vapotage », conclut une analyse menée par huit chercheurs et dirigée par le Pr David Levy, de la Georgetown University, publiée en 2019 dans Tobacco Control, et que les auteurs mentionnent dans leur discussion.
« Dans leur étude récente, Pierce et al. ont conclu que “la forte augmentation récente de l’utilisation des e-cigarettes va probablement inverser le déclin du tabagisme chez les jeunes adultes américains.” À ce jour, les preuves ne soutiennent pas cette conclusion : le tabagisme des jeunes et des jeunes adultes a diminué rapidement depuis l’essor du vapotage », taclent les auteurs, citant l’analyse de l’University College de Londres selon laquelle « moins de 1 % des adolescents américains qui ont d’abord utilisé des vaporettes sont devenus des fumeurs de cigarettes établis ». Plus on l’étudie, plus la théorie de la passerelle se désagrège.
Références :
Ruoyan Sun, PhD, David Mendez, PhD, Kenneth E Warner, PhD, Is Adolescent E-Cigarette Use Associated With Subsequent Smoking? A New Look, Nicotine & Tobacco Research, 2021;, ntab243, https://doi-org.eres.qnl.qa/10.1093/ntr/ntab243
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